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sérieux empêchement dans les échanges avec les pays étrangers. La règle en ces matières était la réciprocité ; si l’on ne pouvait l’obtenir, on se contentait du traitement de la nation la plus favorisée. En cas de doute, c’est du côté de la tolérance qu’on penchait. Il était admis qu’il y a bénéfice à tenir les portes ouvertes même pour ceux qui ferment les leurs, et que dans un marché de ce genre l’une des parties ne perd pas nécessairement ce que l’autre gagne. Toutes deux au contraire doivent le plus fréquemment y trouver profit. Les faits prouvaient d’ailleurs ce qu’avait à la fois d’habile et de généreux cette manière de se conduire. La confédération américaine lui devait la plus merveilleuse fortune dont le monde moderne ait été témoin. Dans le cours d’un demi-siècle, quelques colonies insurgées étaient parvenues à former une puissance d’un tel ordre que les plus anciennes et les plus fières ne l’envisageaient ni sans inquiétude ni sans envie. Par le seul concours du génie privé, cette puissance avait rallié sous son pavillon des flottes marchandes qui tenaient le second rang sur les mers et touchaient au premier ; elle avait compris dans ses domaines les grands fleuves et les grands lacs, semé le désert de villes, étendu ses cultures sur des espaces presque sans bornes, tout cela avec un bien mince budget et une administration imperceptible. Sur quoi s’était-elle donc appuyée ? Sur un levier aussi simple qu’énergique, la libre et pleine action de l’homme, l’activité individuelle livrée à tout son essor avec la seule responsabilité pour contre-poids.

Quand la guerre des tarifs commença, le pays, mené par de si vigoureux mobiles, était au fort de cette veine de succès ; ce qui s’y est ajouté depuis n’est que la conséquence d’une impulsion acquise. On ne prévoyait alors ni les pactes avec le privilège, ni les démentis donnés à la liberté ; il ne semblait pas que cette population sensée pût se prêter à de telles inconséquences. Elle y a été pourtant conduite, et Dieu sait au moyen de quels argumens ; on n’en saurait imaginer de plus pauvres et de plus vains. Ce fut surtout de Philadelphie qu’ils sortirent ; l’Allemand List s’y trouvait de passage et venait en aide à M. Carey. Il s’agissait d’arracher aux pouvoirs publics un traitement de faveur pour les industries nationales. List ne s’y épargnait pas : agriculture, commerce, navigation, il mettait tout aux pieds de ses clientes. Suivant lui, il n’y a de richesse que dans la production, et le principal souci d’un état doit être d’en développer les foyers par les moyens dont il dispose. Si ce développement à lieu d’une manière naturelle, tant mieux ; mais, s’il faut pour cela recourir à des combinaisons artificielles, élévation des tarifs, exclusion des similaires étrangers, l’intérêt de la communauté est d’adopter cette marche sans hésitation et sans crainte.