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se permettraient d’avoir des enfans lorsqu’ils sont, hors d’état de les nourrir. Dieu merci, ce premier feu s’est éteint, le temps, a calmé les cerveaux les plus exaltés ; il circule moins de ces horoscopes, qui, comme autant d’épouvantails, vouaient le monde aux horreurs de la famine. Dans ce retour vers des impressions plus tempérées, l’expérience a au moins autant agi que la réflexion. Chaque jour, on se convainc par des chiffres précis que le mouvement de croissance, longtemps redouté, n’est et ne sera ni aussi prompt ni aussi général qu’on l’avait annoncé. Aucune des prévisions tenues pour indiscutables, au début du siècle n’a été confirmée par les faits, des démentis formels ont frappé les plus essentielles. Ainsi il est avéré que nulle part les services de la terre, dans les pays les plus peuplés, n’ont fait défaut au surcroît de bouches que notre âge a pu fournir, et que la disette a plutôt sévi parmi des populations en décroissance, comme celles de l’Algérie, de la Russie polaire et des parties les plus ingrates de l’Inde anglaise. Il est également constant que l’industrie de l’homme a toujours grandi en raison des accroissemens de nombre, et que les ressources, se, sont tenues au niveau des besoins. La preuve en est acquise dans le développement de l’aisance et l’augmentation des moyennes de la vie humaine.

Ce retour d’opinion est si marqué, et Malthus passe si bien de mode, que déjà l’on en est à des préoccupations bien éloignées des siennes, c’est-à-dire au souci que donne le ralentissement du mouvement de la population. Les symptômes en ont été surtout sensibles en France ; c’est à M. Léonce de Lavergne que l’on doit de les avoir signalés l’un des premiers. Pour une ou deux périodes, ce ralentissement équivaut à des temps de retraite, à un déchet sans gravité pris absolument, mais qui est à considérer, si on l’envisage d’une façon relative. Pendant que nous restions stationnaires, les autres états ont en effet continué leur marche accoutumée, et il est évident que si le phénomène persistait, il s’ensuivrait nécessairement pour nous, avec l’abaissement du nombre, une diminution d’influence, de force et de richesse. Comment ce temps d’arrêt inattendu a-t-il eu la France pour siège plutôt qu’un autre état ? Quand Malthus était si peu prophète chez lui, d’où vient qu’il a fait chez nous de si nombreux prosélytes ? Ceux qu’il a convertis, sinon à ses idées, du moins à ses pratiques, n’étaient pourtant pas de grands clercs ? ils n’étaient certainement initiés ni à la contrainte morale ni aux équations menaçantes qui en conseillent l’emploi ; c’étaient des gens de campagne, des ouvriers des villes, de petits bourgeois, peu disposés à suivre d’autres plans de conduite que ceux qu’ils tirent de leur cerveau : non pas qu’ils n’eussent un mobile ; qui