Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/990

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvres, comme le soutient M. Carey. Où a-t-on trouvé les élémens de ces plans de fantaisie ? Ce n’est certes ni dans la tradition ni dans l’observation des faits. Nulle part les choses ne se sont ainsi passées, nulle part les populations, pour mettre le sol en valeur, n’ont obéi à des consignes, à une échelle croissante ou décroissante de fertilité. Qu’on imagine ces arrangemens-là dans le cabinet, passe ; sur le terrain, ils ne soutiendraient pas l’examen. Non, les premiers exploitans n’ont pas mis à défricher le sol cette rigueur et cette uniformité de méthode, ils se sont déterminés par des convenances particulières plutôt que par des convenances générales. Il n’y a pas eu, ni pour les terres fortes ni pour les terres légères, de choix faits d’après des principes fixes ; il y a eu presque autant de motifs de préférence que de sites et, dans les groupes compactes, que de champs. Chacun a agi d’instinct, sans classement ni expertise préalables. Pourquoi se fixait-on ici plutôt que là ? Par l’effet d’accidens ou de calculs très variables : un rideau de forêt, une source vive, quelques madriers servant de pont sur un cours d’eau, la sécurité du séjour, le voisinage d’une route, d’une ville, d’un marché, tout ce qui ajoute du prix aux fruits de la terre et permet d’en écouler les excédans. Point de parti-pris en cela, point de système, tout au plus un voyage de découvertes à la dernière halte duquel commençait la vie sédentaire pour la famille ou l’essaim, et avec la vie sédentaire le travail qui la défraie. Ce travail au début était direct et ne créait en fait de revenu que des produits consommés ou consommables, plus tard des échanges contre de l’argent. Pour que la rente proprement dite se formât, il fallait que, par convention expresse, l’exploitation de la terre changeât de main et de directe devînt indirecte, avec un partage des fruits dans quelques cas, une soulte, un abonnement en numéraire dans beaucoup d’autres ; mais ce n’était pas là un phénomène économique d’un ordre particulier et qui méritât un tel luxe de définitions. La terre après tout est un instrument comme un autre, qui se loue à raison de sa puissance et avec tout ce qui compose cette puissance. Sa valeur se mesure non sur le prix de revient des denrées, comme le voudrait Rossi, mais sur une loi plus simple et plus constante, l’offre et la demande, qui met en présence les deux meilleurs juges du différend, le bailleur et le preneur. L’opération qui en résulte est un contrat comme tous les contrats de louage et d’échange ; pourquoi imaginer péniblement des solutions compliquées quand les plus élémentaires se présentent si naturellement à l’esprit ?

À propos du problème de la population, nous allons retrouver les mêmes combats dans le vide et l’Amérique de nouveau en guerre avec l’Europe. C’est Malthus cette fois qui sert de plastron aux