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économiques le plus développé que nous ait fourni l’Amérique. L’œuvre pèche par bien des points, l’art, le style, la méthode, et surtout la solidité des opinions. Il est arrivé à l’auteur de se donner d’une édition à l’autre des démentis formels, notamment à propos de la liberté du commerce. Simple libraire à Philadelphie, il ne s’est pas cru astreint à une consistance et à une responsabilité politiques ; il a tourné au vent qui soufflait. Le cas est si fréquent là-bas que son crédit en a peu souffert, et que ses trois gros volumes ont eu du débit. Son originalité, si c’en est une, son titre aux yeux des natifs, consistent à procéder par des contraires dans ce que nous tenons pour le mieux démontré ; il nie là où nous affirmons. On en jugera par un rapprochement rapide sur des questions souvent débattues, la rente du sol, par exemple, ou le problème de la population, et surtout à propos de la querelle des tarifs, plus envenimée que jamais et qui à tant de reprises a partagé l’Union en deux camps.


II

Quelques mots seulement sur les problèmes de la rente du sol et de la population, juste ce qu’il en faut pour bien marquer en quoi nos écoles économiques diffèrent là-dessus de l’école américaine, que représente M. Carey. Et d’abord qu’entend-on par la rente du sol ? D’après les auteurs en crédit, Ricardo, Rossi, plus tard M. Hippolyte Passy, qui a éclairé à fond le sujet, la rente du sol est un produit net, c’est-à-dire la part qui revient aux propriétaires, défalcation faite des bénéfices que retiennent les exploitans. Ce produit net se compose d’élémens divers, d’abord l’intérêt des capitaux incorporés soit dans des amendemens successifs, soit dans la construction des bâtimens de service, puis, à titre égal, une redevance pour le droit même de la propriété. Cette distribution des profits est à la fois la plus naturelle et la plus conforme à la justice. Librement débattue, elle peut être l’objet de quelques lésions, suivant que le contrat a été plus ou moins judicieusement ou équitablement fait ; mais c’est le cas pour tous les contrats, et, malgré quelques exceptions, la règle est bonne.

Faut-il en dire autant du commentaire que Ricardo y a ajouté ? La démonstration n’en est pas aussi sûre ; il s’agit d’une hypothèse historique plutôt que d’un point doctrinal. Non content de définir la fonction de la rente, Ricardo a voulu en rechercher les origines. D’après lui, la rente du sol n’a pas suivi les hasards de la culture ; elle a obéi à une loi, presque à un système. Dans le premier groupement des populations, le choix entre tant de terres vacantes était