Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/986

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main sans qu’on la vérifie ; elle est partie intégrante de la liberté sans bornes dont ce peuple jouit. On la pratique, on l’applique ; on ne l’expose ni on ne la discute. Il semble qu’on a fait assez pour elle en conviant tous les émigrans sans distinction de nationalité au partage de terres fertiles, tous les pavillons au bénéfice d’une navigation profitable et d’un commerce étendu, tous les nomades en quête d’une patrie à la jouissance d’une large hospitalité. Ces gages généreusement donnés valaient certes mieux qu’aucune démonstration théorique et la suppléaient amplement. Aussi rencontre-t-on dans cette période peu d’auteurs proprement dits. Il y a des économistes dans le congrès et en grand nombre, il y a des documens parlementaires sur des sujets de circonstance, le crédit, les banques, les systèmes de viabilité ; les travaux dogmatiques sont rares. A peine citerait-on une traduction du Traité d’économie politique de Jean-Baptiste Say, par M. Biddle de Philadelphie, et deux bons volumes de statistique morale d’Alexandre Everett, qui vécut moins aux États-Unis que dans les légations d’Europe comme titulaire accrédité. Dans tous les cas, aucun nom ne s’impose à l’attention, et n’est l’équivalent de ceux qu’en Angleterre et en France le suffrage public a consacrés.

Jusqu’aux environs de 1840, il en est ainsi ; mais alors les intérêts se mettent de la partie, ils émeuvent et passionnent ces populations positives. La guerre des tarifs commence ; nous verrons ce qu’elle est devenue au cours des événemens. Ces tarifs des douanes étaient et demeurent une des rares prérogatives dévolues au congrès ; personne n’en prit d’abord souci, tant la marche à suivre paraissait nettement tracée. Un peuple agriculteur, commerçant et navigateur n’a qu’un intérêt bien démontré : c’est de rendre ses marchés accessibles aux produits du dehors et d’en faire, par des facilités de tout genre, le siège de mutuels échanges. Ce calcul eût été juste, si l’industrie ne s’en fût pas mêlée ; elle trouble volontiers les fêtes où elle assiste. A peine se vit-elle à la tête de quelques exploitations, presque toutes renfermées dans les états du nord, filatures et tissages de coton, fabriques de draperies, forges et laminoirs, qu’elle commença une suite de campagnes pour obtenir des congrès qu’à un marché libre succédât un marché restreint. Rien ne fut épargné pour atteindre ce but, ni les mandats impératifs imposés aux députés, ni les influences exercées sur l’opinion par les pamphlets, les brochures, les discours de plate-forme, ni enfin l’emploi de toutes les armes que les habitudes de la vie publique mettent à la disposition d’un peuple libre.

Le livre de M. Carey sur la Science sociale est un des produits de cette agitation, et c’est en même temps le corps de doctrines