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d’imposer à la banque des États-Unis, en retour d’une prolongation de privilège, quelques modifications aux statuts et un changement complet de titulaires. Ce n’était qu’un répit, et la suite le prouva bien. En 1831, le renouvellement de cette banque devenait la grande affaire et la grande émotion du pays. Trois ans d’orageux débats suffirent à peine pour vider le différend. Le congrès s’était déclaré pour la banque, le président contre ; au vote de l’un, l’autre opposa son veto, qui prévalut faute d’une majorité des deux tiers des voix pour l’annuler. La fermeté de Jackson l’emporta donc sur une condescendance déjà ancienne. Plus tard, le congrès lui-même, modifié par l’élection populaire, confirma l’arrêt porté contre la banque des États-Unis, arrêt qui fut désormais.sans appel. Cette banque, rattachée à la Pensylvanie par une charte locale, végéta pendant quelque temps, et fit ensuite une mauvaise fin. Le gouvernement du moins n’en était plus responsable, bien inspiré qu’il avait été dans ses répugnances à se mêler aux affaires des manieurs d’argent.

Voilà deux circonstances où les hommes d’état de l’Union firent d’instinct de l’économie politique, et de l’excellente à coup sûr. La leçon est presque complète, si on y ajoute la réduction du contingent militaire, emportée de haute lutte, et les combats de détail livrés pour la défense des souverainetés locales. C’était sortir du moins d’une fausse notion qui trouble en Europe beaucoup d’intelligences, de cette notion où l’état s’impose aux individus sous prétexte de les servir, et les énerve si bien qu’ils perdent jusqu’au goût des résolutions viriles. Ce peuple nouveau eût péché plutôt par l’excès contraire. L’individu y montrait la prétention et la volonté de se suffire, de ne rien attendre que de son propre effort ; au rebours de ce qui se passe dans les pays gouvernés à outrance, il demandait à être gouverné le moins possible. Même sur les vétilles, il ne cédait pas, sachant à quel point les abus s’engendrent et que des moindres on passe aux plus crians par des engrenages insensibles. L’honneur des pères de la démocratie américaine fut d’avoir bien jugé tout cela. Créer une constitution est une œuvre d’enthousiasme qui s’obtient du premier jet ; la défendre pied à pied, en sauver l’esprit des embûches de la lettre, c’est une tâche plus lente, et qui, au cours des événemens, est toujours à reprendre. Que de constitutions ont passé par ces épreuves, souvent au préjudice de leur intégrité ! La constitution américaine a eu des chances meilleures ; elle s’est appuyée sur des hommes de bien qui eux-mêmes s’appuyaient sur des principes.

Qu’à cette école il se soit formé plus de pionniers que de savans, c’était dans l’ordre. L’économie politique est alors pour l’Amérique émancipée comme une monnaie courante qui passe de main en