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de ce héros indien, qui avait été tout à la fois un administrateur habile et un brillant général. Les indigènes le regrettaient ; ses compagnons le chérissaient et l’admiraient sans envie. C’est qu’il avait autre chose que le mérite déjà rare de tenir avec éclat de hauts emplois politiques. L’habitude du commandement n’avait pas éteint en lui la générosité du cœur ; sa sollicitude s’étendait sur les faibles et les opprimés, sur les enfans des soldats anglais décimés par le climat de même que sur les pauvres Hindous rançonnés par leurs princes indigènes. Dans les excursions à travers les provinces dont la gestion lui était confiée, il ne manquait jamais de visiter les prisons, et s’efforçait d’améliorer le sort de ceux qui y étaient détenus. Il se laissait volontiers prendre aux bons sentimens. Au reste M. Kaye nous affirme, et nous l’en croirons sans peine, qu’il y a toujours eu chez les héros de la compagnie des Indes une nuance de poésie, une pointe d’enthousiasme, peut-être un peu d’exaltation chevaleresque. Il fallait bien en effet qu’ils eussent au cœur quelque chose de pareil qui les soutînt contre les épreuves de l’exil et les découragemens d’une existence solitaire, sans quoi ils n’auraient jamais eu le courage de s’expatrier à l’âge de quinze ou seize ans, de s’en aller dans un autre monde, au milieu d’une société étrange, passer les vingt-cinq plus belles années de leur vie.

Les jeunes cadets que la compagnie enrôlait sous ses drapeaux n’ont pas tous fourni, — est-il besoin de le faire observer ? — une carrière aussi brillante que ceux dont il vient d’être question. On voit dans les biographies de M. Kaye la société anglo-indienne par ses beaux côtés. Les hommes dont nous venons de raconter l’existence comptèrent assurément parmi les plus distingués de leur temps. Si l’on en cite auxquels le régime de l’Inde a été propice, combien sont plus nombreux ceux qui ne résistaient pas au climat, qui succombaient avant l’heure sur les champs de bataille, ou, ce qui est plus triste, qui s’abandonnaient à de vulgaires débauches pour tromper les ennuis de l’exil ! Les services militaires et civils de la compagnie étaient une rude école où il fallait des tempéramens énergiques et des caractères vigoureux. Déduction faite des circonstances heureuses ou défavorables auxquelles nul ne peut commander, chacun y était traité selon ses œuvres. Tandis que l’aristocratique Angleterre réservait les principales fonctions publiques aux aînés des familles que recommandaient de grandes fortunes ou des relations sociales dues au hasard de la naissance, les emplois de l’Inde étaient une voie libéralement ouverte à tous sans autre condition que des preuves de capacité. Les Anglais aiment à dire que la compagnie était une monarchie des classes moyennes. — C’était aussi autre chose ; les hommes aventureux et entreprenans qui n’a-