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même leur opulence sous forme d’une énorme pension servie par le trésor britannique. Depuis lord Wellesley jusqu’à lord Dalhousie, on n’avait pas raisonné autrement.

Cependant il n’eut pas le temps de suivre cette politique dans le Radjpoutana, car au commencement de l’année 1857, à la veille d’une catastrophe épouvantable, il était nommé commissaire du gouvernement dans le royaume d’Oude. L’annexion de ce royaume venait d’être consommée. Sir Henry Lawrence se trouvait ainsi en présence d’une situation analogue à celle qu’il avait déjà rencontrée dans le Pendjab. L’aristocratie native, frappée d’une brusque déchéance, faisait tous ses efforts pour inspirer au peuple la haine contre les Anglais, et le licenciement de l’armée du prince dépossédé avait rempli les campagnes d’une foule d’aventuriers mécontens et sans ressources ; mais ce n’était pas tout. L’Oude avait fourni de tout temps aux régimens de la compagnie un nombre considérable de cipayes. Or les officiers anglais qui prenaient soin de s’enquérir de l’état des esprits dans la société native constataient avec inquiétude que les sentimens de l’armée anglo-indienne devenaient de plus en plus hostiles. On ne peut guère dire que le cipaye était indigné des trop faciles annexions que se permettait l’autorité britannique ; mais chaque annexion étendait davantage l’aire où il pouvait être appelé à servir. Si le soldat hindou est belliqueux, il n’aime pas à s’éloigner trop et trop longtemps de son village. D’ailleurs les mécontens exploitaient les moindres incidens. On faisait comprendre aux vieux officiers indigènes que leur traitement était trop faible, on effrayait les engagés des castes supérieures de la perspective de se voir souillés par des contacts impurs ou convertis au christianisme. Ce n’est pas le lieu d’analyser ici les causes multiples auxquelles l’insurrection de l’Inde anglaise doit être attribuée ; il nous suffit de remarquer que tous les motifs de mécontentement allégués par les révoltés se trouvaient réunis dans le royaume d’Oude, et que cette contrée devait être par conséquent l’une des premières frappées par ce grand désastre.

Sir Henry Lawrence n’était pas homme à se laisser surprendre par les événemens, car il était l’un des prophètes qui les avaient depuis longtemps prédits. Il avait répété plus d’une fois que le cipaye se ferait justice lui-même, si l’on ne se hâtait pas d’être juste envers lui. Cinq ans auparavant, un jour qu’il voyait de jeunes Hindous apprendre l’exercice : « Regardez ces hommes-là, dit-il à quelqu’un qui l’accompagnait, ce sont des vipères que le gouvernement réchauffe dans son sein ; si l’on n’y prend garde, ils se tourneront contre nous. » Il pensait au reste que le péril pouvait être écarté par une sage entente des besoins des cipayes, mais que, si