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habitués au joug, n’en peuvent être affranchis que par degrés insensibles. Un nouveau gouverneur-général venait d’arriver dans l’Inde ; c’était lord Dalhousie, homme doux et calme, dit-on, mais enclin par caractère à regarder les questions en face et à les trancher nettement. Il lui parut que le gouvernement du Pendjab, tiraillé entre deux influences contraires, manquait d’unité. Il résolut donc d’en donner la charge entière à John Lawrence, dont les idées lui convenaient mieux. Henry Lawrence reçut une autre destination. Si le succès doit être considéré comme l’épreuve d’une politique éclairée, on peut affirmer que le choix de lord Dalhousie fut justifié plus tard d’une façon éclatante. En effet, le nouvel administrateur, qui était encore en fonctions en 1857, était alors si bien maître du pays que non-seulement il eut l’adresse de désarmer les cipayes turbulens dont on redoutait la trahison, mais qu’il fut encore capable d’envoyer des secours aux provinces du Bengale. Le royaume de Lahore fut tout à fait étranger aux révoltes formidables qui menacèrent à cette époque la domination britannique.

Henry Lawrence, en quittant le Pendjab en 1853, était chargé de représenter les intérêts anglais dans les états du Radjpoutana. Il y avait encore là beaucoup à réformer. Les Radjpoutes avaient été autrefois des hommes braves et chevaleresques, c’était une race de guerriers ; mais, l’intervention anglaise ayant imposé la paix aux divers rajahs qui se partageaient la contrée, ils avaient perdu peu à peu leur ancienne vigueur ; ils s’adonnaient à la débauche et déclinaient insensiblement vers la barbarie. « Jusqu’à présent, écrivait le nouveau résident, je n’ai jamais eu affaire qu’à un seul peuple ; ici, il y a vingt états souverains aussi vieux que le soleil et la lune. Il n’y a en eux ni franchise ni honnêteté et pour ainsi dire pas de virilité. Chaque principauté est plus ou moins en révolution. Ce système féodal est corrompu jusqu’à la moelle, et sans nous la paix ne durerait pas. » En examinant de près ces royautés indigènes dépravées ou ineptes, sir Henry Lawrence arrivait à une conclusion qui suffit seule pour expliquer l’immense développement de la puissance anglaise dans l’Inde. « Le seul remède, disait-il, est de nous emparer du gouvernement, soit à titre temporaire, soit à titre définitif. » Ce n’est pas qu’il ne sentît combien il était injuste de rompre les traités conclus avec les souverains régnans ; mais les paysans souffraient horriblement par la faute de ces gouvernemens vicieux, le résident se sentait responsable dans une certaine mesure des maux infligés au peuple par une administration corrompue qui ne se soutenait que par l’appui des Anglais. Quel autre remède que de déposer ces monarques iniques ? Il fallait donc annexer, mais annexer en conservant aux princes leurs titres, leurs honneurs et