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terdite jusqu’alors aux agens de la compagnie ; il est aujourd’hui vice-roi de l’Inde anglaise. C’est par la vie de Henry Montgomery Lawrence que nous allons terminer ces récits.

Henry Lawrence arrivait à Calcutta en 1822 à l’âge de seize ans. Il eut, comme tout le monde, à faire un long stage au grand arsenal de Dum-Dum pour y perfectionner son instruction pratique, puis il prit part à la guerre contre les Birmans. Un séjour un peu trop prolongé au milieu des marécages du pays d’Aracan compromit sa santé. On l’envoya en convalescence à Penang, dans le détroit de Malacca, il partit ensuite pour la Chine vers la fin de 1826 ; mais, la maladie ayant résisté à ce traitement ambulatoire, il revint en Europe après six années de séjour dans les pays chauds. C’était, on le voit, une jeunesse bien employée. Lorsqu’il fut de retour dans l’Inde après huit mois de congé passés en Angleterre et en Irlande, il employa ses loisirs à l’étude des langues indigènes, et subit avec honneur l’examen, qui donnait accès aux emplois d’état-major et aux services politiques. Un peu plus tard, sur la recommandation de son frère George, dont la réputation commençait à grandir, il fut attaché au cadastre de la province du Bengale, en compagnie d’autres officiers civils et militaires. Plusieurs années s’écoulèrent dans ces fonctions paisibles et peut-être un peu monotones. Il s’était marié ; il vivait en plein air, au centre des plus beaux districts de la péninsule. « Je me rappellerai toujours, écrivait un de ses compagnons de travail, l’accueil qu’il me fit sous sa tente, abritée par de magnifiques bosquets. Les arbres qui se rejoignaient par le haut en entrelaçant leurs branches couvraient d’ombre un vaste espace. La tente était de grandeur ordinaire, environ douze pieds carrés ; mais il ne serait pas facile d’en décrire l’intérieur : des instrumens dans un coin, deux tables, trois ou quatre chaises ; des papiers, des cartes, des plans, étaient étalés partout… Bientôt nous avions à lever une large surface de terrain au pied des montagnes du Népaul. C’étaient des jungles touffues, un fameux repaire pour les tigres. Il fallait tenir des feux allumés jour et nuit pour éloigner les éléphans sauvages et les bêtes féroces, qui donnaient des signes incontestables de leur voisinage. Les rosées étaient si épaisses que tout en était imbibé. Il y avait tant de brouillard le matin que l’on ne pouvait se servir du théodolite avant midi. Quelle fut ma surprise de trouver mistress Lawrence avec son mari ! Elle était assise au bord d’un ravin et écrivait des lettres. Lui, il faisait des observations d’arpentage. Un châle suspendu dans la tente séparait la chambre à coucher de la salle à manger, où le déjeuner était préparé. » Si Lawrence avait eu en sa jeunesse des rêves d’ambition, il les oubliait sans doute dans cette existence calme et soli-