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et de les vendre comme esclaves. Le voyage était périlleux. Comme il était possible que le shah de Caboul, Dost-Mohamed, essayât de le retenir, Pottinger s’évada subrepticement avec deux ou trois compagnons. Il se donnait pour un saint homme, un syud, se rendant en pèlerinage. Une fois il fut arrêté par un chef indigène, espèce de brigand qui ne manquait point de dévaliser les voyageurs toutes les fois que ceux-ci portaient quelque chose de bon à prendre. À la blancheur de sa peau, l’officier anglais faillit être reconnu pour un de ces Feringhis qui avaient conquis l’Hindoustan. Son mince bagage fut fouillé ; les livres n’attirèrent pas trop l’attention, une gravure seulement donna matière à toute sorte de commentaires. Un compas et des pinceaux furent presque pris pour des instrumens de sortilège ; toutefois, après quelques jours de détention, on lui permit de continuer son chemin. Vingt-six jours après être parti de Caboul, il arrivait enfin devant les murs de Hérat.

Cette ville était alors gouvernée par Shah-Kamran, prince faible et indolent, sorte de roi fainéant entre les mains du vizir Yar-Mohamed. Intelligent, fin et artificieux, ce dernier était un marchand d’esclaves de la pire espèce, mais un vaillant soldat et un habile diplomate. Peu après l’arrivée de l’officier anglais, le bruit se répandit que Mohamed-Shah, roi de Perse, s’avançait contre Hérat avec une nombreuse armée. Il était constant que la conquête de cette place par les Persans serait un événement fatal à l’influence britannique, car les Persans s’appuyaient sur la Russie. Pottinger sentit que l’intérêt de son pays natal lui commandait de se faire reconnaître ; il déposa un déguisement qui répugnait d’ailleurs à sa loyauté, et se mit à la disposition de Shah-Kamran et du vizir pour contribuer à la défense. Il était officier d’artillerie ; il avait quelques notions des principes d’attaque et de défense des places fortes ; rien d’étonnant que son offre fût accueillie avec reconnaissance. il n’était au reste que volontaire, sans aucun titre politique ni militaire. L’armée persane n’était pas non plus dépourvue d’Européens, car c’étaient des officiers russes qui dirigeaient les attaques.

Il serait superflu de relater ici tous les incidens de ce long siège, qui fit en son temps plus de bruit peut-être qu’il ne méritait, parce qu’il parut, non sans raison, être une lutte entre deux puissances européennes, l’Angleterre et la Russie. Par de fausses combinaisons politiques, ces deux puissances, quoique en paix, se trouvèrent en état d’hostilité au centre de l’Asie. Elles y avaient cependant des intérêts identiques, comme on semble disposé à le reconnaître aujourd’hui, et ces intérêts leur conseillaient à toutes deux de prêcher, d’imposer au besoin la paix aux souverains indigènes, et non de les armer les uns contre les autres. Pottinger fut l’âme de la dé-