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seulement l’avantage de relever le niveau moral et intellectuel des officiers, elles établissaient entre eux dès l’adolescence des sentimens de camaraderie et des habitudes d’intimité qui suppléaient à la famille et adoucissaient les tristesses de l’exil. Après deux ans de séjour à Addiscombe, Eldred Pottinger avait subi l’examen final avec succès et avait été classé dans l’artillerie de la présidence de Bombay. C’était en 1827 ; il avait alors seize ans. Les premières années qu’il passa dans l’Inde ne furent marquées par aucun des incidens qui secouent la torpeur d’une vie de garnison. Il s’était livré avec conscience aux exercices de son arme, il avait acquis une connaissance convenable des idiomes indigènes, lorsqu’il fut appelé dans le département politique sur la recommandation d’un de ses oncles, le colonel Henry Pottinger, qui représentait les intérêts anglais dans le Sindh et le Beloutchistan. L’attention du gouvernement de Calcutta se portait depuis quelque temps vers la Perse et l’Afghanistan. Trente ou quarante ans plus tôt, les Anglais se figuraient à tout propos qu’une armée française allait déboucher sur l’Indus, de connivence avec les souverains barbares de l’Asie centrale. En 1837, c’était la Russie qui semblait menacer les frontières britanniques par l’est de la mer Caspienne ; il est de fait qu’elle se préparait dès lors au rôle qu’elle a pris depuis dans cette partie du monde. L’Afghanistan, pays de montagnes rebelle à l’influence extérieure, était une barrière ; mais des révolutions intestines livraient cette contrée à l’anarchie. Il était à craindre que les étrangers n’y pénétrassent à la faveur des guerres civiles. Le gouverneur-général de l’Inde, lord Auckland, bien qu’il n’eût pas l’ambition inquiète de certains de ses prédécesseurs et qu’il fût plutôt un administrateur paisible, suivait avec anxiété les événemens qui s’agitaient au-delà de l’Indus. Dès l’année 1836, il avait fait partir pour Caboul une mission extraordinaire sous la conduite d’Alexandre Burnes. Lorsque Pottinger s’offrit à pénétrer de son côté dans l’Afghanistan pour visiter le pays en touriste, on se dit qu’un supplément d’information ne pouvait qu’être utile. Le jeune officier se mit en route sans mission officielle, mais avec l’approbation tacite de ses chefs.

Il voyageait sous le déguisement d’un maquignon indigène, avec l’appareil le plus simple, et parvint à Caboul sans rencontrer d’obstacles. Encouragé par ce premier succès, il voulut poursuivre jusqu’à Hérat, ville frontière de grande importance et capitale d’un petit état dont les Afghans et les Persans se disputaient la suzeraineté. Nul officier de la compagnie n’avait encore traversé la région intermédiaire, où dominaient des tribus barbares d’assez mauvais renom, qui ne se faisaient pas scrupule d’emprisonner les étrangers