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il n’est pas difficile de discerner l’impulsion toute-puissante que le parlement britannique et la couronne savaient donner au gouvernement de cette colonie lointaine. Dans l’accroissement lent et continu de l’empire indien depuis lord Clive jusqu’à l’insurrection de 1857, il faut faire une large part aux institutions de la Grande-Bretagne ; mais la politique d’envahissement, inspirée de loin par les hommes d’état de la métropole, dirigée à Calcutta par les gouverneurs-généraux, n’a si bien réussi que parce qu’elle a été secondée par de merveilleux instrumens, par les serviteurs civils ou militaires de la compagnie, hommes pleins d’énergie, de savoir et de persévérance, ambitieux comme doivent l’être des gens qui vont à quatre mille lieues de leur patrie pour y faire fortune. Ces hommes voyaient croître leur propre importance à mesure que la compagnie étendait son cercle d’action et élargissait ses domaines ; il était donc de leur intérêt immédiat de favoriser les conquêtes et les annexions. Familiarisés par un long séjour avec les mœurs et les institutions des indigènes sans être devenus étrangers au courant d’idées de leur terre natale, ils se justifiaient eux-mêmes de leurs visées ambitieuses en disant qu’ils voulaient substituer un pouvoir honnête et juste aux royautés corrompues dont les peuples de cette partie de l’Asie étaient affligés. Ils étaient d’ailleurs le trait d’union obligé entre les états natifs et les gouverneurs-généraux. Ceux-ci, choisis parmi les membres influens du parlement anglais, joignaient le plus souvent à l’éclat de brillans services antérieurs l’ascendant d’une haute position personnelle ; mais, n’ayant suivi que de loin les affaires de l’Inde, ils ne pouvaient, dès leur arrivée à Calcutta, répudier les serviteurs de la compagnie, qui représentaient la tradition et l’expérience acquise. On a nommé Anglo-Indiens ces militaires, ces magistrats, ces résidens, qui s’expatriaient dès l’adolescence et revenaient après une longue carrière jouir dans leur pays du repos qu’ils avaient bien gagné. Peu d’entre eux ont acquis une réputation à la hauteur du rôle qu’ils avaient rempli en Orient ; l’Inde est si loin, si peu connue ! Ils ont été mêlés cependant à des événemens d’une telle importance que l’histoire de leur vie est parfois pleine d’intérêt. Nous voudrions faire connaître quelques-uns des Anglo-Indiens les plus remarquables d’après les biographies que M. Kaye vient de leur consacrer. En réduisant à de courtes esquisses les portraits que cet écrivain a développés avec complaisance, nous aurons sans doute à nous tenir en garde contre un sentiment trop vif d’admiration. Le biographe est flatteur par nature ; mais, si l’on veut bien accorder que l’histoire s’occupe trop parfois des hommes que le hasard de la naissance met au premier rang, on conviendra qu’il n’est pas bien cou-