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L’affiche du scrutin provoqua immédiatement un grand tumulte et des acclamations très diverses. Inutile de dire que les bannières bleues flottaient au vent, que l’orchestre bleu, ivre d’enthousiasme et de stout, détonnait merveilleusement, que les députés bleus, s’inclinant jusqu’à terre, rendaient grâce à la noble, intelligente et généreuse communauté dont ils allaient être l’expression vivante. Nous n’ajouterons pas non plus, cela va de soi, que les Bleus, forts de leur nombre et de leur victoire, couvrirent d’outrages leurs ennemis vaincus, et que les Jaunes, évidemment en minorité, mais pleins de courage, rendirent avec usure les gros mots qui leur étaient adressés. Plus d’une bannière bleue chavira dans les ruisseaux, plus d’une tête bleue s’affaissa sous un poing jaune, et plus d’un héros jaune se vit en revanche culbuté par des bottes bleues. Ce qui restait de carreaux jusqu’alors intacts dégringolait à grand bruit, et le désordre prenait des proportions inquiétantes, lorsqu’on « vit, sur la place du Marché, pointer un cheval tigré d’écume. C’était Rumpunch, et sur Rumpunch, qu’il éperonnait encore machinalement, maître Fitz, la cause et le sujet de tout ce tapage, plus tranquille, plus à son aise, plus souriant que jamais.

Sa présence ne fit tout d’abord qu’exaspérer la situation. Les hurlemens de la foule prirent un caractère plus farouche, les rixes éclatèrent sur plus de points, les œufs, la boue, les bâtons traversèrent l’air de tous côtés ; mais Rumpunch demeurait ferme comme un roc sous le mors qu’une main robuste lui imposait, et Fitz, au milieu du déchaînement public, se tenait également ferme comme un roc sur son coursier immobile. Au bout du compte, rien ne plaît à la foule et ne se fait respecter d’elle comme cette vertu qu’on appelle pluck. C’est même la seule que certaines gens apprécient et révèrent. Les cris stupides s’apaisèrent un moment, et les projectiles immondes cessèrent de pleuvoir. Fitz aussitôt saisit l’occasion qui s’offrait. — Écoutez-moi, braves gens, seulement une minute !

Le silence régnant, il continua : — J’apprends que mon élection est à vau-l’eau. J’en suis fâché, sans doute ; mais je ne pouvais espérer un meilleur résultat. Maintenant, si j’ai préféré une autre élection à celle-ci, je ne pense pas que les votans de Cantitborough. — si renommés pour leur galanterie chevaleresque, — puissent me blâmer de ce choix…

Un immense bravo accueillit cette plaisanterie, qui arracha un sourire aux plus enragés ; l’orateur reprit : — Je ne puis rien changer à votre décision actuelle, mais je tâcherai d’arriver à mieux quand une autre fois je viendrai solliciter de nouveau l’honneur de vous représenter à la chambre. Bien que n’ayant aucun droit à vos faveurs, je vous demanderai cependant, et dès aujourd’hui, deux