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à l’intelligence élevée, savez-vous bien pourquoi il s’est dérobé à une lutte où d’ailleurs il se savait battu d’avance ?… Savez-vous pourquoi son complaisant agent et son innocent cousin sont venus vous rebattre les oreilles d’un prétendu choléra qui l’aurait saisi ce matin même ?… Non, sans doute : eh bien ! je vais vous le dire. Toute cette indigne comédie n’avait qu’un but, celui de dissimuler le mariage qu’il a contracté aujourd’hui même avec la fille d’un homme qui le méprise…

— Marié !… vous dites qu’il est marié ? s’écria Beauclerc, décontenancé peut-être pour la première fois de sa vie.

— Faites donc semblant de l’ignorer, répondit le vieux tory avec une ironie concentrée.

— Ah ! si je l’avais su !… Mais après ce premier élan de rancune Beauclerc prit sur-le-champ un tout autre ton… — Vous dites donc que mon ami Fitzhardinge est devenu le mari de miss Barnardiston ? Eh bien ! monsieur (bâillant avec une admirable insolence), laissez-moi vous en faire compliment. Vous devez être aux anges… Un pareil hymen comble sans doute et passe peut-être vos espérances…

Barnardiston n’essaya pas de répondre directement. Interpellant l’auditoire qui grossissait à vue d’œil : — Gens de Cantitborough, s’écria-t-il, nous sommes divisés d’opinions ; mais vous me connaissez de longue date, et vous écouterez mes griefs… Vous n’avez pas dû voir sans surprise M. Fitzhardînge, connu seulement par les désordres de sa jeunesse, venir solliciter de vous un mandat parlementaire. Une jeune fille se rencontre alors sur sa route, fiancée à un homme que vous aimez, que vous vénérez tous, à qui vous payez un tribut d’estime…

— Compliqué de gratifications à l’avenant, interrompit Beauclerc, qu’impatientaient ces périodes gonflées de vent, et qui les crevait volontiers à coups d’épingle.

— Il s’était laissé prendre aux charmes de cette enfant…

— Ou de sa dot, reprit en demi-sourdine l’implacable avocat.

— Elle s’était engagée à lui…

— Sans savoir ce qu’elle faisait.

— Eh bien ! abusant de la jeunesse, de la crédulité naturelle au jeune âge, ce séducteur consommé…

— Bien jeune lui-même, hélas !

— Profite de l’occasion, abuse ce cœur sans défense, lui fait rompre des engagemens sacrés, lui persuade d’en contracter un nouveau, et, comme je refusais mon consentement, connaissant trop bien M. Fitzhardinge pour lui confier le bonheur de ma fille…

— Ou lui préférant lord Verdant, qui se présentait aussi.