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— Oui, disait-elle, j’ai eu tort, et j’en conviens… On ne devrait jamais promettre une affection qui n’existe pas… Pardonnez-moi de vous avoir donné une fausse espérance… Je m’en veux de n’avoir pas osé vous parler plus tôt avec une franchise entière en vous demandant de me rendre une parole que je ne saurais tenir.

— Il est dommage que vous ayez tant tardé à vous prononcer, remarqua Whitechurch d’un ton sentencieux.

— Grand dommage, comme vous dites !… Plût au ciel que je n’eusse pas hésité si longtemps !

— Ce doit être en effet votre pensée. Vous dites avec raison que nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre. Nos goûts, nos visées, nos désirs, sont absolument opposés. Je confesse que vos avantages personnels m’avaient séduit. Je m’imaginais que, sur un si beau sol, la bonne semence, une fois répandue, ne pouvait manquer de germer… En cela, je me trompais… Au surplus, dans cette rupture vous n’avez fait que prendre les devans. Je n’osais plus, je l’avoue, choisir ma compagne au pays des Philistins, et j’ai appris où se trouvent des trésors bien préférables à l’éclat éphémère d’une beauté purement extérieure.

— Tant mieux, repartit Cora, non sans quelque hauteur, vous n’avez jamais pu être plus convaincu que je ne le suis moi-même de ce qu’il y a d’antipathique dans nos deux caractères. Rendez-moi du reste cette justice, je n’ai jamais affecté pour vous un penchant qui ne pouvait exister.

— Ceci est de toute vérité. Aussi nous séparerons-nous en paix l’un avec l’autre, et quand nous nous retrouverons, ce sera, j’y compte, sur le pied d’une mutuelle bienveillance.

— C’est à miss Cary qu’il en veut, je m’en porte garant, me dit Villars au moment où l’incumbent de Saint-Hildebrand, après avoir soulevé son chapeau, s’éloignait de miss Barnardiston, et je gage, continua-t-il, que les visites aux malades, les leçons à l’école de charité, n’ont pas été sans influence sur le résultat de cette campagne. Elle jouait son jeu, notre dévote !…

Cora cependant, qui se croyait seule, venait de s’asseoir sur un banc de mousse, au pied d’un frêne dont les branches inférieures caressaient presque sa tête nue. Éclairée par les rayons roses du soleil couchant, elle était jolie à ravir. Triste, elle l’était aussi, et les gentilles avances de Dauphin, qui de temps à autre venait poser son nez gelé sur les blanches mains de sa maîtresse, n’obtenaient cette fois aucun retour.

— Elle est charmante ainsi, murmura Villars, penché à mon oreille. On dirait la Belle au bois dormant… Fitz jouerait bien à propos le rôle du prince.