Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Cora, cria de loin mistress Levison, avez-vous de l’outre mer ?…

Ainsi demeura suspendue la phrase mystérieuse de Glencora.

Le soir même, avant le dîner, Fitz, se trouvant seul pour deux ou trois minutes avec Edith Levison, lui posa nettement une question : — Pourquoi votre cousine s’est-elle engagée à M. White-church ?

— Vous trouvez, n’est-ce pas, que c’est absurde ?… Mais qu’y faire ? Mon oncle l’a ainsi voulu. Il est fort avare, sans savoir au juste pourquoi. Glencora rentrait chez sa mère à dix-sept ans. Augustine Whitechurch se présenta pour l’épouser. Mon oncle, approuvant la combinaison, prescrivit à sa fille de ne point la faire manquer. La mère, loin d’intervenir, appuya de ses instances les ordres de son mari. Cora, légère comme un oiseau, se laissa imposer un consentement qui depuis l’a rendue bien malheureuse. Voici deux ans qu’il pèse sur elle, et je vous assure, continua Edith avec beaucoup d’énergie, que j’aimerais bien mieux savoir cette enfant dans un ordre religieux quelconque que de la conduire à Faute ! pour la livrer à un pareil personnage.

Fitz devait être du même avis, mais il évita de se prononcer. M. Whitechurch étant venu dîner à Elm-Court, le repas, ordinairement fort animé, s’acheva sans aucun entrain. Cora et Fitz, nos plus alertes causeurs, ne soufflaient mot ni l’un ni l’autre. Après le cafë, on se dispersa. Levison, toujours épris de sa femme, s’égara quelque part avec elle. Fitz, le cigare aux dents, alli ruminer tout seul du côté des serres. Jimmy Villars et moi, nous nous réfugiâmes dans une espèce de hutte à la Robinson pour y causer de Cambridge, des examens et autres sujets qui nous intéressaient personnellement ; nous en étions aux gafns énormes que les succès de Tsarévitch venaient de procurer à un de nos condisciples lorsque, parmi les arbrisseaux qui enveloppaient notre fumoir de leurs ombrages transparens, j’entrevis la jupe rose de Cora ; cette aimable enfant semblait être en conversation réglée avec un être quelconque, invisible pour nous.

— Jimmy, dis-je tout bas à mon compagnon, encore une scène d’amourettes… Nous sommes de trop, savez-vous ?

— Taisez-vous donc, naïf écolier, répondit-il de même en me poussant du coude…… C’est en remuant que nous les dérangerions… Il est mal d’écouter aux portes ; mais ici nous n’avons pas le choix… Fitz nous tuerait, si nous paraissions à contre-temps… Que nous apprendront-ils d’ailleurs ? Qui dit amoureux dit sornettes, et ces sornettes ne varient guère…

Nous nous trompions. Il ne s’agissait point d’un duo d’amour. Cora s’exprimait à mots pressés, avec une sorte d’emportement.