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malédictions incohérentes, le cher cousin se remit en selle, et Rumpunch nous ramena grand train. Beauclerc, que nous retrouvâmes en face d’un flacon de whisky et de notre arsenal de pipes, parut impressionné par l’arrivée de Fitz. Il le regardait à la dérobée comme vous regarderiez votre chien favori si vous le soupçonniez d’hydrophobie. — Il y a, me dit-il tout bas, quelque anguille sous roche. Ce garçon vient de me signer, sans le moindre scrupule ni la moindre réflexion, un chèque d’importance notable. Avec ses idées sur la corruption électorale, il aurait dû y mettre plus de façons… Bien évidemment il ne se rendait pas compte de la chose.

Le lendemain, au déjeuner, Fitz interpella son fidèle agent. — Beau, lui dit-il, nous allons aujourd’hui dessiner à Elm-Court… Serez-vous de la partie ?

— Si j’en étais, mon cher, vous courriez grand risque de ne pas gagner celle que nous jouons ici.

— Pitoyable calembour !… Mais je vois que mon insouciance vous agace les nerfs… Que voulez-vous ? chaque fois que je veux exposer mes opinions, vous vous hâtez de me couper la parole… A quoi donc vous servirait ma présence ?

— Vos opinions ?… qu’ont-elles à démêler avec votre élection ? s’écria Beauclerc par un superbe mouvement d’éloquence. A vous entendre, on vous prendrait pour un blanc-bec de vingt ans parfaitement ignorant du train des choses humaines. Ici-bas, — vous devriez commencer à vous en douter, — toute question se résume en livres, sous et deniers… Des opinions, qui vous en demande ? Si vous en avez, n’en faites montre ! Cela ne sert point, et cela gêne… Tenez-vous à votre élection ?…

— Véritablement je n’y tiens guère, interrompit Fitz.

— Agissez en homme intelligent, continua l’avocat sans prendre note de cette saillie incongrue. Donnez votre argent les yeux fermés, et jusqu’à nouvel ordre fermez la soupape par où s’évaporent vos tirades libérales ou rationalistes. Elles sont peut-être de mise avec les esprits fort, mais ici elles n’ont point cours. Cela viendra, j’y consens, dans deux ou trois siècles. En attendant, ne scandalisons pas le monde en lui montrant la vérité dans le costume trop succinct où elle est sortie de son puits. Au surplus, tenez, je vous aime mieux ailleurs qu’autour de moi. Allez dessiner, mon garçon, allez dessiner, tandis que je fais vos affaires !

Peut-être bien espérait-il n’être point pris au mot ; mais Fitz mit tranquillement en sautoir sa boîte à couleurs, et, armé de son appui-main en guise de canne, prit tranquillement le chemin du rendez-vous. Nous nous réunîmes dans un vallon boisé appelé « la Chasse. » On ne saurait imaginer endroit plus ombreux, tapissé de mousses plus épaisses, ni pelouses plus gracieusement vallonnées et