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bien plus difficile comme situation[1], n’a laissé aussi que des impressions flatteuses. S’il n’a pas pu contenter tout le monde, du moins il n’a mécontenté personne, et tous rendent justice à son caractère et à ses intentions. — Vous êtes bien bon de penser à lui demander des lettres pour moi ; elles seraient inutiles. J’ai été priée en arrivant chez toutes les autorités, le gouverneur, le préfet et l’administrateur de police. Je n’ai pas accepté les invitations parce que j’étais encore souffrante ; mais je me trouve en relation de visite avec tout le monde. — Werner, que vous connaissez, je crois (auteur d’Attila et de Luther, deux tragédies qui ont fait grand bruit en Allemagne), se trouve dans ce moment à Rome. Il s’est fait catholique et me parait dans la plus haute exaltation religieuse. — J’ai vu aussi M. de Chabot, ami de Matthieu, un jeune homme aimable et bon, passant aussi sa vie dans les églises. Voilà les heureux du siècle ! — Il vient d’arriver M. Millin l’antiquaire : il m’a parlé de M. Artaud, de M. Richard, de M. Revoil[2] ; mais je n’ai trouvé d’autre charme dans sa conversation que les souvenirs de la patrie lyonnaise. Quoiqu’il soit homme d’esprit et qu’il ait le goût et l’habitude du monde, je ne sais pourquoi il ne me plaît guère. Il vient de m’envoyer ses derniers ouvrages ; si je les trouve dignes de vous, je vous les ferai passer. — Le directeur de la police, M. de Norvins, m’a parlé de vous ; il connaît plusieurs de vos amis et des miens, et parle de vous comme tout le monde en parle. C’est une chose rare dans les temps actuels que d’avoir traversé tous ces orages sans se faire un ennemi, et d’être suivi dans sa retraite de l’affection de ses amis et de la haute estime des indifférens. — Ce M. de Norvins est certainement un homme d’esprit. Il m’a mise dans la confidence de quelques écrits qui prouvent du talent ; mais il y a en lui un mélange de l’ancien et du nouveau régime qui m’étonne toujours. C’est quelquefois M. de Narbonne, et l’instant d’après c’est Regnaud de Saint-Jean d’Angély. Du reste il est parfaitement soigneux et aimable pour moi. — Le général Miollis paraît le meilleur homme du monde ; il est aimé. Je lui ai parlé de Corinne ; il ne savait pas ce que je voulais dire. Il a cru que c’était une ville d’Italie qu’il ne connaissait pas. — Pourquoi donc vous opposer au départ de M. Ballanche ? Voilà un vrai sujet de querelle. Savez-vous bien que M. Ballanche est, après vous, la personne avec laquelle j’aimerais le mieux voyager ! Mais j’avoue que c’est après vous. Il me plaît, lui, par tout ce que j’ai de bon dans l’âme ; mais vous, vous me plaisez également par ce que j’ai de bon et par ce que j’ai de mauvais. Prenez cela pour une épigramme, si vous

  1. Degérando avait été récemment l’un des commissaires préposés à l’administration des états romains.
  2. MM. Revoil et Richard étaient les deux peintres les plus distingués de l’école lyonnaise ; M. Artaud, autre que son homonyme le diplomate, était le directeur du musée de Lyon.