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combinés ne réussirent pas à calmer la mauvaise humeur du révérend, qui, resté en dehors du salon, se promenait sur une terrasse, escorté de sa future belle-sœur, volontiers attachée à ses pas. Autant que j’en pus juger par quelques mots saisis au vol, la douce Caroline s’efforçait de pallier les torts de sa cadette. — Soyez indulgent pour cette chère enfant, disait-elle au révérend, toujours boudeur… Un peu trop coquette, c’est vrai ; mais toutes les jolies femmes le sont, à ce que j’ai ouï dire… Pour échapper à cette tentation, il faut être comme moi, sans beauté, sans illusions chimériques… Dieu sait si je lui rends grâce de ne m’avoir créée que pour l’aimer et le servir,… de m’avoir rendue indifférente aux hommages et aux adulations des hommes… Croyez moi, cher Augustine, ne vous fâchez pas !

— Mais au contraire je me fâche, et je pense en avoir le droit, répondait le révérend avec un accent dictatorial. Je presse depuis bien des jours afin que l’époque du mariage soit fixée… On me renvoie toujours aux calendes… Je ne puis pourtant pas me passer d’une femme… Il m’est impossible d’exercer à moi seul la surveillance des écoles… Et si vous saviez tout ce qui se gaspille dans ma cuisine !… Non, vraiment, je ne puis m’accommoder de tant de délais !… Quant à ces légèretés, ces valses, ces musiques, ces promenades à cheval avec le premier oisif venu, n’y a-t-il pas là de quoi rougir ?…

— J’en conviens, la pauvre Glen ne comprend pas encore toute la responsabilité de la situation que lui fera le mariage. Elle est insouciante, irréfléchie, mondaine…

Le reste du dialogue fut perdu pour moi, qui préférais, en somme, l’autre duo, et qui, de la table de vingt-et-un où j’étais assis, m’amusai longtemps à contempler le groupe formé autour du piano. Entre le jeune Verdant, qui la contemplait dans une extase sentimentale, et Fitz, qui l’amusait de son léger badinage, Cora s’animait de plus en plus. Ses beaux yeux bruns rayonnaient ; son rire jeune et frais, sa parole facile et gaie, faisaient rêver, malgré qu’on en eût, à la sombre atmosphère de la maison curiale où on prétendait enfouir tant de trésors, et à ce dominateur impérieux qui, bâillonnant le rire, éteignant le regard, gênant l’essor joyeux, ferait taire le doux gazouillement de l’oiseau mis en cage.

Aussi le lendemain, à Hollyhood, ne pus-je m’empêcher d’avertir Fitz que le terme de sa flirtation approchait. Je lui expliquai comment les méfaits de la cuisinière du ministre poussaient inévitablement ce digne pasteur à conclure le mariage projeté. — L’imbécile ! s’écria mon cousin, que ne s’adresse-t-il au bureau de placement ? on lui fournira des couturières et des gouvernantes par douzaines.