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en grippe, et, se guettant l’un l’autre pour se jouer un méchant tour, me faisaient l’effet d’un chat et d’un épagneul en bisbille. — Vos chances d’élection se prononcent-elles ? demandait Villars à mon cousin certain soir que nous nous promenions ensemble aux dernières clartés du crépuscule.

— Qui sait ?… et que m’importe ? répondit Fitz. Il n’est pas si flatteur après tout de représenter au parlement une collection d’idiots comme les burghers de Cantitborough… Il me faudra, si je réussis, coiffer la tête d’âne qui met le parterre en liesse quand Bottom fait son entrée dans le Songe d’une Nuit d’été… Ceci du reste ne manquerait pas son effet à la chambre des communes…

— Dont pas mal de membres porteraient, sans se faire tort, les longues oreilles du bouffon shakspearien, interrompit en souriant l’aimable Cora.

— Y compris, sans doute, ceux qu’on a classés d’avance parmi les « bons à pas grand’chose, » riposta Fitz sur un ton tout aussi railleur.

— J’espérais que vous ne m’aviez pas reconnue ! (Ces mots furent dits avec quelque hésitation, et la jeune personne qui les prononçait ne laissa pas de rougir un peu…) Croyez-vous qu’il soit beau d’avoir gardé si longtemps le secret de vos rancunes ? On ne me prendra plus à causer librement en chemin de fer avec des gens dont j’ignore les noms et qualités.

— Vous auriez tort de vous gêner… et, pour mon compte, les vérités ne m’ont jamais fait peur, même les plus dures… N’êtes-vous pas un peu dans ces idées ?…

— D’autant, poursuivit Cora, que mes paroles n’ont guère dû vous porter ombrage. Vous accuser d’être sceptique, socialiste et républicain, c’est presque vous décerner un brevet d’homme d’esprit, puisque les gens d’esprit sont rangés à peu près tous dans l’une ou l’autre des trois catégories.

Fitz se mit à rire. — Allons, ajouta-t-il, je consens à être censuré par toutes les bonnes têtes de Cantitborough, pourvu que vous me jugiez, de manière ou d’autre, bon à quelque chose.

— Comment donc ! reprit-elle avec un regard étincelant de gaîté, vous êtes bon à tout,… à valser par exemple, à me gagner une partie de billard, à chanter avec moi un lied allemand,… et je ne vous en demande pas davantage.

— Plût à Dieu que vous attendissiez autre chose de moi ! dit alors Fitz d’une voix très radoucie… Je suis fâché que vous me traitiez comme une simple connaissance de salon avec qui on jase une heure dans quelque bal, et que l’on quitte ensuite sans lui accorder une pensée de regret.

— Vous interprétez mal mes opinions sur votre compte, répliqua