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qu’il gardait, son obstination à parler sans le moindre détour, sa brusque franchise en toute matière, devint, à partir de sa rencontre avec Jimmy Villars, un candidat littéralement impossible. Tandis que le petit lord Verdant promenait de maison en maison le prestigieux éclat de sa naissance et de ses armoiries, tandis que le Hoop Smith se ruinait en charités de tout ordre, et citait au clergé ravi des tirades entières de la Christian Year, tandis que Salter charmait par ses saillies blasphématrices les oreilles des électeurs à dix livres sterling et faisait couler des torrens de bière, maître Fitz semblait se complaire à taquiner son avocat, auquel il recommandait de « laisser aller les choses naturellement » et de ne jamais tenter la moindre corruption. Ou bien encore il prêchait le rationalisme à quelque électeur scandalisé ; mais plus souvent encore il se contentait de jouer au billard, d’aller pêcher l’anguille avec Villars et Le vison, ou de passer de longues heures dans le boudoir de mistress Edith Levison en compagnie de cette dame et de sa cousine Glencora.

Ces amis de Jimmy Villars se trouvèrent réellement de fort aimables gens. Elm-Court, leur résidence habituelle, nous était toujours ouverte, à mon cousin, à moi, et même à Beauclerc, qui venait de temps à autre s’y consoler des méfaits de son candidat, pour qui, en qualité d’ancien camarade de classe, il professait une inépuisable indulgence. Nous franchissions fréquemment les quatre milles qui séparent Elm-Court de Cantitborough, et fréquemment aussi nous y rencontrions, en même temps que sa fiancée, le révérend Augustine Whitechurch, personnage onctueux et gras, généralement peu goûté, mais officiellement très vénéré par ses paroissiens de Saint-Hildebrand, qui lui prodiguaient les cadeaux de Pâques et les attestations emphatiques, le tout pour étaler leur fastueuse et bruyante piété. J’ai vu, enfermés de compagnie ou bien enchaînés côte à côte, des serpens et des lapins, des rats et des bassets, des colombes et des chats-tigres ; mais rarement un couple m’a paru aussi mal assorti que ne l’étaient Cora et son prétendu. Vive, spirituelle, d’humeur fière et haute, elle aimait l’attaque et la riposte autant qu’elle détestait les assemblées dévotes, les lettres édifiantes des missionnaires, et ces intéressantes conversions qu’on obtient de la mendicité aux abois. Lui, tout au contraire, vrai champion de la basse église, s’étudiait à présenter la vie comme un misérable pèlerinage qu’il est bon d’entreprendre avec des souliers dans lesquels on introduit le plus grand nombre possible de cailloux pointus et tranchans. Il ambitionnait une épouse taillée sur l’ennuyeux patron des héroïnes de Hannah More, et poursuivait la pauvre Cora de reproches incessans sur ses goûts, ses amusemens, ses innocentes préférences. Fitz et lui s’étaient naturellement pris