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déconcerté, mais il ne vous mènera pas loin… Au surplus, vous êtes libre de compromettre une élection que je réponds de mener à bien, si vous vous laissez conduire. Dans le cas contraire, souffrez que je m’en lave les mains.

— Après déjeuner, c’est de rigueur, interrompit Fitz, toujours enclin à jouer avec les mots comme avec les événemens et les hommes.

Beauclerc ne nous accompagna point aux Larches, où nous allâmes à cheval, le cousin et moi. Une jolie maison de pierre blanche, toute neuve, décorée de persiennes vertes et réveillant de son mieux l’idée d’une villa italienne.

— Regardez !… c’est elle, murmura Fitz à mon oreille, comme nous remontions l’allée ouverte aux voitures. Effectivement penchée sur une plate-bande de verveines et jardinant avec une assiduité exemplaire, tandis que Dauphin jappait et bondissait joyeusement autour d’elle, notre ex-compagne de voyage nous apparut à un détour. Elle se retourna au bruit des chevaux, et Fitz, chapeau en main, s’inclina jusqu’à toucher le pommeau de sa selle. Au même instant, une jeune femme, se montrant à une fenêtre qui venait de s’ouvrir, lança dans l’air le nom de Cora, et la jolie jardinière laissa tomber aussitôt sa petite houe pour se rendre plus vite à l’appel. — Vraiment, c’est bien elle, c’est Glencora !… Mais alors c’est elle aussi qui est promise à cette espèce de hibou, me dit Fitz avec une sorte de douloureux étonnement… Jamais je n’aurais pu croire… Bast !… cela ne dérange rien à mes projets. Ne fût-ce que pour rendre jaloux cet olibrius ecclésiastique, une flirtation ne manquera pas de charme.

— Une flirtation avec la future de leur prédicateur favori ne me paraît pas le meilleur moyen de vous concilier les dévots électeurs de Cantitborough.

— Trêve d’objections raisonnables !… J’ai bien le droit d’opter, ce me semble, entre une aimable fantaisie et un siège à la chambre des communes.

Ainsi me fit taire le cher cousin au moment où il jetait ses brides au fidèle Soames, et où le valet du maître de la maison se présentait pour nous conduire dans la bibliothèque de ce personnage, réputé le plus farouche tory de toute la contrée.

Il fallait voir la mine du vieux Barnardiston quand on lui annonça le candidat radical, et la surprise indignée avec laquelle il écouta la petite harangue, — fort bien tournée, ma foi, — par laquelle maître Fitz, toujours calme, toujours poli, demandait son vote à ce prototype du conservatisme local, à ce bleu sur lequel aucun acide ne pouvait mordre, comme s’il eût absolument ignoré que