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— Déjà, chez nous, tout est en l’air, dit en riant la jeune lady, et c’est une vraie bonne fortune pour ce pays, où les distractions sont si rares… Je n’y suis que depuis quelques mois ; mais je le connais assez maintenant pour le placer immédiatement après le pôle nord sur la liste des régions les plus glacées et les plus inertes.

— Vraiment ? riposta Fitz… Seriez-vous assez bonne pour me nommer les candidats dont on parle ?

— Ils sont quatre, lui fut-il répondu. Le général Salter, M. Fitzhardinge, lord Verdant et un M. Smith… Le Hoop Smith, veux-je dire.

— Parmi ces messieurs, vous avez peut-être quelque préférence ?

— Pas un, que je sache, n’a droit à de vives sympathies… Le seul à qui on accorde quelque esprit est M. Fitzhardinge ; mais on est généralement d’avis qu’il n’est pas bon à grand’chose.

— En ce cas, dit Fitz, passant la main dans la toison crépue du petit animal pour se donner une contenance, ce n’est peut-être pas tout à fait l’idéal d’un candidat au parlement… Et que lui reproche-t-on en particulier ?

— Je ne sais trop. On le traite d’extravagant, de mécréant, de républicain, de socialiste… Bref, il n’est pas d’épithète malsonnante qu’on n’accroche à son nom… Eh bien ! par cela même, je trouve qu’il irait bien à ce comté de malheur, où il semble vraiment que rien d’original, de tranché ne puisse jamais se produire.

— Vous êtes donc radicale ? demanda Fitz avec un sourire.

Un autre sourire lui répondit : — Tout au plus, si cela était, conviendrais-je d’une pareille trahison, car ici nous sommes bleus à outrance… Eh ! mais, ne nous voilà-t-il pas à Cantitborough ?…

Cantitborough en effet se montrait à nous ; une bonne petite cité proprette, rangée, paisible, qui m’apparaît toujours comme une vieille demoiselle en toilette de soirée. Les rues, si on s’avisait de les faucher, donneraient chaque année une bonne récolte de foins, et les habitans en sont réduits à faire eux-mêmes jouer la sonnerie de leurs portes pour l’empêcher de se rouiller.

Le train s’arrêta. Fitz semblait pour le moins aussi mécontent de quitter la jolie voyageuse qu’il l’avait été naguère en la voyant monter dans le train. Il lança même un regard hostile à certain jeune homme qui était venu au-devant d’elle jusque sur le quai. — Qui diable pouvez-vous être ? disait ce regard impudent, et, sans attendre la réponse, Fitz, toujours alerte, toujours empressé, descendait le chien, rangeait le sac de nuit, vérifiait les bagages. Ce dernier soin surtout semblait le préoccuper, et je le compris lorsqu’après avoir reçu en paiement de ses peines un salut gracieux et vu l’inconnue s’éloigner au bras du jeune homme (que ses airs dégagés disaient être un frère), il revint nous installer dans le