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certaine mesure par l’Angleterre ont été mises de côté ; on n’a plus parlé de constituer la Crète, comme Samos ou le Liban, en une sorte de principauté vassale. Aali-Pacha aussitôt arrivé en Crète, Omer-Pacha repartait sans bruit pour Stamboul, et le grand-vizir, avec l’autorité que lui donnaient sa haute situation et sa réputation personnelle, s’occupait d’établir en Crète un régime dont on trouvera tout le plan dans le recueil anglais auquel nous avons eu si souvent recours. C’est, avec des modifications importantes nécessitées par la prédominance en Crète de l’élément chrétien, ce que l’on appelle à Constantinople l’organisation du vilayet, organisation que l’on a déjà tenté d’appliquer à quelques provinces de l’empire et notamment à la Bulgarie. Nous la résumerons en quelques lignes. L’administration serait confiée à un vali, et le commandement des forteresses à un officier-général ; ces deux postes pourraient être réunis en cas de besoin. Deux conseillers, nommés par ordonnance impériale, l’un chrétien, l’autre musulman, seraient adjoints au vali. L’île serait divisée en sandjaks ou départemens ; suivant que dans chaque sandjak la majorité serait musulmane ou chrétienne, le gouverneur en serait ou musulman ou chrétien. Le gouverneur musulman serait assisté par un mouavin ou coadjuteur chrétien, et réciproquement. Les actes administratifs et judiciaires seraient rédigés dans l’une ou l’autre des deux langues. Il y aurait partout des tribunaux civils et commerciaux mixtes et auprès du vali un grand-conseil, une espèce de petite diète composée de délégués chrétiens et musulmans.

Cette organisation est sans doute très supérieure à ce qui existait en Crète il y a deux ans ; mais les avantages qu’y gagneraient les chrétiens sont-ils en rapport avec les sacrifices que les ont contraints à faire les fautes des pachas et les cruautés des musulmans ? Sous l’empire des ressentimens si justes et si profonds qu’a dû laisser dans les âmes la férocité déployée par les mahométans pendant la dernière année de la guerre, serait-il facile de faire fonctionner cette machine assez compliquée ? De quel œil se regarderaient ces hommes que mettrait sans cesse en présence et en conflit le jeu de ces institutions ? N’y a-t-il pas entre eux trop de sang fraîchement versé et de larmes non encore séchées pour qu’ils s’entendent et se concertent ? Les Crétois se sont d’ailleurs chargés de répondre à ces questions ; ils n’ont pas accepté ce qu’on leur proposait. Presque tous les volontaires, soldats et chefs, avec eux Coronéos et les autres officiers de marque, excepté Zymbrakakis, sont retournés en Grèce ; mais les capitaines indigènes, malgré toutes les promesses que leur a faites Aali-Pacha, sont restés sur la défensive. Aali a divisé l’île en départemens et a donner à plusieurs de ces sandjaks des