Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait subi. L’insurrection était plus vivace que jamais et occupait l’île tout entière. Quant à lui, par le feu de l’ennemi et par les maladies, il avait perdu plus de la moitié de son effectif. Le pacha d’Égypte, qui n’avait plus rien à attendre du sultan, rappelait ce qui restait encore dans l’île de troupes égyptiennes. Un profond découragement régnait dans tous les rangs de l’année ; officiers et soldats étaient également las de cette guerre interminable. D’ailleurs l’argent manquait. La solde n’était plus payée, excepté aux pachas et aux beys. Ceux qui avaient le moins d’arriéré n’avaient rien touché depuis huit mois. Avec les quelques milliers d’hommes dont il disposait encore, avec des coffres vides, Omer-Pacha était hors d’état de faire un nouvel effort. La prise de l’Arkadi, que célébra comme une victoire le gouvernement turc, n’avait aucune importance ; à peine capturé, le hardi bâtiment était remplacé par l’Enosis et par la Crète. Se sentant impuissant à continuer la guerre, le divan résolut d’entrer dans une autre voie et d’obtempérer dans une certaine mesure aux désirs qu’on lui exprimait.

Depuis le mois de mai, la France, à laquelle s’associaient avec quelques nuances de langage toutes les autres puissances excepté l’Angleterre, réclamait la formation d’une commission d’enquête qui aurait été sur place écouter les plaintes et recueillir les vœux des Crétois. Constituée par la Porte, elle aurait compris, à côté de fonctionnaires ottomans, des délégués européens désignés par les ambassades. On ne voulait, répétait M. de Moustier, rien préjuger sur le résultat de cette enquête ; tout ce que l’on se proposait, c’était de savoir quels étaient au juste les besoins et les désirs de la population crétoise ; on verrait ensuite dans quelle mesure on pouvait les satisfaire. Les représentans de la France, de l’Italie, de la Prusse et de la Russie donnaient au mois de juin copie à Fuad-Pacha d’une dépêche identique qu’ils avaient reçue de leurs gouvernemens respectifs au sujet des affaires de Crète, démarche à laquelle s’associait avec quelques réserves l’internonce d’Autriche. Fuad-Pacha répondait aussitôt par une dépêche très habilement rédigée que l’on peut lire dans notre livre jaune ; il faisait remarquer qu’il ne pouvait s’engager dans cette enquête avant de savoir où on voulait le mener. Si les puissances se déclaraient décidées à faire respecter le principe de l’intégrité de l’empire ottoman, si l’hypothèse de l’annexion de la Crète à la Grèce était écartée à l’avance, la Porte se déclarait prête à examiner dans l’esprit le plus conciliant toute autre combinaison proposée ; si au contraire on admettait la possibilité de cette annexion, mieux valait renoncer tout d’abord à l’enquête : le sultan était fermement décidé à ne point céder ainsi, sans y être contraint par quelque écrasante défaite, une des plus belles