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être dans ces récits de pure invention. Pourtant, comme l’attestent les consuls français et anglais, Moustafa-Pacha fit de son mieux pour prévenir, autant qu’ils pouvaient être prévenus, ces excès et ces violences ; il fut à cet égard très secondé par ses deux fils, le général Salih-Pacha et Ali-Bey, qui remplissait les fonctions de gouverneur de La Canée. Tant que Moustafa fut en Crète, les paysans chrétiens des districts qui n’avaient point pris part à la lutte et les provinces orientales de l’île avaient presque entièrement échappé aux maux de la guerre. Il en fut tout autrement avec Omer-Pacha. Le vainqueur de Kalafat et d’Oltenitza aurait volontiers cru qu’il lui suffirait de se montrer pour faire rentrer tous ces mutins dans le devoir. Au contraire, à peine était-il sorti de La Canée pour marcher sur Sfakia qu’il se voyait attaqué presque à chaque pas, harcelé nuit et jour. Devant lui, les défilés étaient gardés par un ennemi qu’il tenta en vain de déloger ; derrière lui, l’insurrection reprenait possession du terrain dès qu’il l’avait évacué, elle coupait ses convois aussitôt qu’il s’éloignait de la mer, elle gênait ses communications avec les forteresses. Alors une violente colère s’empara de lui, et, à mesure que son insuccès devenait plus évident, sa fureur ne fit que s’accroître. Déjà, en traversant les districts de Rétimo et de Mylopotamo, Omer-Pacha avait tout détruit, tout brûlé sur son passage, oliviers et maisons ; la plus riche province de l’île fut changée en un désert. Lassithi fut traité de même. Les Turcs ne faisaient plus aucune différence entre les villages insurgés et ceux qui avaient livré leurs armes et déclaré vouloir rester soumis. Les uns comme les autres étaient incendiés, et tous les chrétiens, s’ils tombaient entre les mains des musulmans, étaient exposés au même sort. Encouragés plutôt que contenus, les musulmans indigènes donnaient aux agens et aux officiers européens des spectacles qui ne semblaient plus faits pour notre siècle. C’étaient des têtes et des oreilles que l’on apportait en ville et que l’on exposait sur les places[1] ; c’étaient des blessés que l’on décapitait, des familles que l’on brûlait avec leurs maisons. A Sfakia, sans l’intervention du lieutenant Murray, Omer-Pacha renouvelait la tragédie qui avait donné depuis 1822 à la grotte de Mélidoni, dans le nord de l’île, une si triste célébrité : il y faisait périr par la fumée des familles chrétiennes qui s’y étaient réfugiées, et qui n’avaient pas assez confiance en sa parole pour accepter la capitulation qu’il leur offrait.

Sous un pareil chef, les choses en venaient à un tel point que tous les agens étrangers sans exception laissaient éclater leur indignation. Le 21 juillet, M. Tricou, qui avait remplacé comme consul de France M. Derché à la fin d’avril, écrivait à M. Outrey, alors

  1. MM. Murray, Dickson, Tricou, Calocherino, attestent également le fait.