Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Crète à la Turquie, il faut qu’elles commencent par livrer une autre bataille de Navarin. Alors seulement la Porte pourra sans honte s’incliner devant la force. » En vain M. Bourée insista, rappelant l’exemple de l’Autriche, qui avait cédé de cette manière la Vénétie, et qui avait tout lieu de se repentir de ne pas s’y être décidée plus tôt. Fuad et Aali-Pacha se sentaient approuvés et soutenus par l’Angleterre ; ils refusèrent de prendre aucun engagement, et envoyèrent Omer-Pacha en Crète avec des renforts. Après le départ d’Omer-Pacha, l’ambassadeur français fit encore auprès du grand-vizir une dernière tentative pour obtenir qu’aucune nouvelle opération militaire ne fût entreprise en Crète ; on ne lui répondit que par un refus assez dédaigneux. Une fois encore la Turquie rassemblait ses dernières ressources pour faire un suprême appel à la force des armes ; une fois de plus elle allait montrer que ses généraux n’étaient pas plus capables de dompter l’insurrection Crétoise que ses pachas de gouverner la Crète avec sagesse et justice.

Les forces dont disposait le serdar-ekrem ou généralissime sont évaluées par le consul de France à 25,000 hommes de troupes régulières, plus 7,000 volontaires ou irréguliers, pris parmi les Crétois musulmans. La campagne d’Omer-Pacha, d’avril à septembre 1867, peut se résumer en deux mots. Après avoir inutilement attaqué Sfakia par le nord, il traversa les provinces de Rétinio, de Mylopotamo et de Candie ; il pénétra sur le plateau de Lassithi, qui, par la situation et par les facilités qu’il offre à la défense, rappelle l’Omalo. De là il se retourna vers Sfakia, qu’il aborda à la fois par terre et par mer ; il y entra en juillet par Franco-Casteli et Callicrati ; il y détruisit plusieurs villages, et en septembre il était de retour à La Canée. Le seul résultat de cette campagne de cinq mois avait été de creuser plus profondément l’abîme qui séparait déjà musulmans et chrétiens. La mission qu’Aali-Pacha vint remplir en Crète pendant l’hiver de 1867 à 1868 aurait peut-être pu encore aboutir, au printemps précédent, après le départ de Moustafa ; après Omer-Pacha, elle devait fatalement échouer.

Dès le début de la querelle, il avait été commis de part et d’autre des actes de violence isolés ; on ne saurait s’en étonner quand on songe aux haines laissées par les anciennes luttes et aux tentations perpétuelles où sont exposés des hommes qui ne quittent jamais leurs armes. Une fois la lutte engagée, ces actes furent plus fréquens encore. Les Grecs, assure-t-on, attaquèrent et détruisirent un convoi de malades égyptiens ; quant aux Turcs, ils sont sans cesse accusés, dans des pièces adressées aux consuls par les chefs crétois, d’égorger leurs prisonniers, de déshonorer les femmes, de massacrer des enfans et des vieillards ; les noms des lieux et des personnes sont donnés avec une telle précision que tout ne peut