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sauvage. Cependant ce n’est point sur les primats crétois ni même sur les meneurs athéniens que retombe la principale responsabilité. Comme nous l’avons montré, la faute est surtout au mauvais gouvernement d’Ismaïl-Pacha, puis à la maladroite lenteur et enfin à l’impolitique et dédaigneuse hauteur du cabinet ottoman ; la Porte a semblé chercher et provoquer la lutte armée. La Russie, elle aussi, a désiré la rupture ; sans intervenir ouvertement, elle y a poussé par les assurances qu’elle faisait parvenir aux insurgés. On a dansé à Saint-Pétersbourg pour les victimes de l’insurrection ; bien des bals encore et bien des quêtes ne réussiront pas à disculper la Russie d’avoir, par ambition, contribué à plonger les Crétois dans un abîme de misère que ne combleront pas quelques aumônes. Toutes les fois que la Russie croit que les affaires vont se brouiller en Occident, elle excite à la révolte les sujets chrétiens du sultan ; elle aura ainsi un prétexte pour intervenir à son heure. Si les événemens la forcent encore à ajourner ses projets, elle en est quitte pour faire une savante retraite, pour donner un congé à son ambassadeur ou tout au plus pour lui nommer un successeur à Constantinople ; quant aux Crétois, ce sera leur affaire de défendre leurs maisons et leurs vergers contre l’incendie, d’aviser à ne point laisser mourir leurs familles de faim ou de froid, et de se tirer eux-mêmes, comme ils pourront, des mains d’Orner-Pacha et de ses bourreaux !

Le gouvernement français n’a point de pareils reproches à s’adresser : on lui doit cette justice, qu’il a fait tout ce qui dépendait de lui pour empêcher que l’insurrection n’éclatât. Nos agens avaient pris en face des espérances et des ambitions grecques une attitude si tranchée, que le consul français à La Canée fut, bien plus encore que le consul anglais, en butte aux violentes attaques des journaux athéniens. On éprouve donc quelque étonnement en voyant, dans les dépêches françaises et surtout dans les dépêches anglaises où sont relatées plusieurs conversations de M. le marquis de Moustier et de son successeur à Constantinople, M. Bourée, avec quelle rapidité se modifièrent les vues du cabinet des Tuileries. Dès le mois de novembre 1866, au lendemain de Vafé, notre ministre des affaires étrangères se demande avec inquiétude dans quelles conditions pourra désormais s’exercer en Crète l’autorité du sultan, et déclare « le problème bien difficile à résoudre. » Le 7 décembre, il rejette sur les lenteurs et les fautes de la Porte la principale responsabilité du soulèvement, il lui reproche durement l’inefficacité du blocus, il parle « des remèdes héroïques que pourrait finir par exiger la situation de l’empire. » Vers la fin de l’année, il tient un langage déjà plus clair. « Les solutions, dit-il, qui au début de la crise auraient peut-être pu assurer la