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Aussitôt de retour à La Canée, Moustafa-Pacha s’occupa, avec un commissaire envoyé tout exprès de Constantinople, de faire nommer des délégués ; pris en nombre à peu près égal parmi les musulmans et les chrétiens ; ces députés devaient se rendre à Stamboul pour y porter les vœux des Crétois. Les efforts de Moustafa-Pacha et de son nouveau coadjuteur, un chrétien, Server-Effendi, pour réunir et pour expédier à Constantinople les membres de cette espèce de consulte remplirent le mois de février 1867, et n’aboutirent qu’à un complet insuccès. Il fut impossible de rien obtenir qui ressemblât à un vote : le gouverneur désigna lui-même les notables qui devaient faire le voyage ; mais quelques-uns refusèrent de s’embarquer, d’autres partirent pour Constantinople et arrivèrent à Athènes, ou bien, une fois à Péra, firent savoir aux ambassades qu’ils n’avaient pas accepté volontairement leur titre et leur mission. Il y avait là de quoi décourager la Porte, qui ne trouvait pas chez les délégués musulmans un concours beaucoup plus empressé. On fit donc à peine mine de réunir les prétendus députés ; mais comme Moustafa, malade et découragé, demandait son rappel, on nomma, pour le remplacer, celui des généraux turcs qui avait en Europe et en Turquie la plus brillante réputation militaire, Omer-Pacha. C’était assez dire que, pour amener la pacification de l’île, le sultan ne voulait compter que sur la force ; c’était repousser de la manière la plus formelle les conseils que, l’Angleterre exceptée, toutes les puissances donnaient alors à la Turquie. Pour comprendre quelle gravité avait, au mois d’avril 1867, la nomination d’Omer-Pacha, il faut revenir sur la campagne diplomatique que le cabinet français avait commencée en faveur des insurgés crétois.


III

La diplomatie française n’avait rien épargné pour déconseiller et prévenir le mouvement insurrectionnel. L’ambassadeur à Constantinople, le ministre à Athènes, le consul à La Canée, donnaient les mêmes avis ; il est, on ne saurait trop le répéter, profondément regrettable que ces avis n’aient pas été entendus. L’heure n’était pas favorable : l’Europe, distraite, regardait ailleurs ; la France, triste et inquiète, humiliée d’avoir été vaincue sur ces champs de bataille de la Bohême où elle n’avait pas combattu, était loin des généreux enthousiasmes de 1821. Dans de telles circonstances, — nous l’avons dit au début de l’insurrection avec une vivacité qui s’expliquait par l’intérêt que nous portions à ce triste et beau pays, — la perspective même de l’annexion à la Grèce ne justifiait pas les imprudens qui exposaient ce petit peuple à toutes les cruautés d’une répression