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ravages dans les rangs des Turcs, on était gris de poudre et de bruit, chacun tirait de son côté, et personne ne donnait d’ordres. Le combat continua. Ce ne fut que vers le milieu du second jour que le canon fit brèche et que les musulmans pénétrèrent dans la cour du couvent ; mais alors même il fallut encore lutter pendant six heures. Chacun des bâtimens était comme un réduit que défendaient en désespérés ceux qui l’occupaient. On installa l’artillerie dans la cour du monastère, on jeta des bombes dans les cellules. Au plus fort de cette mêlée, une aile du couvent fut détruite par l’explosion de quelques barils de poudre qui s’y trouvaient déposés. Ce ne fut qu’à onze heures du soir que les Turcs furent maîtres de toutes les parties de l’édifice et que le sang cessa de couler.

Une centaine de femmes qui furent trouvées cachées dans les caves du couvent furent traitées avec humanité, grâce à l’intervention immédiate du général Salih-Pacha, le plus jeune fils de Moustafa. Il en fut de même d’une quarantaine d’hommes que l’on ramassa couchés parmi les blessés ou blottis dans quelque cachette ; mais tout ce que les troupes impériales avaient rencontré devant elles au moment où, échauffées par deux jours de bataille, elles forçaient les barrières du couvent, tout, femmes et enfans aussi bien que combattans, avait été impitoyablement massacré. Les généraux turcs évaluèrent à deux cent cinquante hommes mis hors de combat la perte que leur avait causée la prise du monastère ; quant aux chrétiens, on parle de quatre ou cinq cents victimes. Peu importe que l’un de ces chiffres soit, selon toute apparence, au-dessous et l’autre au-dessus de la vérité ; peu importe aussi que ce désastre, qui s’accomplit pour ainsi dire sous les yeux mêmes de M. Coronéos sans qu’il eût fait aucune tentative pour le prévenir ou pour opérer une diversion, ait porté un rude coup à la réputation de ce chef militaire : la défaite d’Arkadi n’en a pas moins efficacement servi la cause des insurgés. En détruisant le couvent, Moustafa-Pacha a aussi bien mérité des Crétois qu’en s’arrêtant après Vafé. Beaucoup d’hommes qui perdirent là des femmes et des enfans se jetèrent dans la lutte avec une ardeur et une soif de vengeance qui rendaient tout arrangement de plus en plus difficile ; puis le récit de cette tragique catastrophe fit en quelques jours le tour de l’Europe avec des détails qui tiennent du roman, mais qui ne nuisirent pas à l’effet. Un incident qui avait à peine été remarqué dans le tumulte du combat prit une importance capitale dans la légende, telle que la composèrent ces vives imaginations grecques. On raconta qu’au moment où les Turcs étaient déjà maîtres de la cour du couvent les vieillards et les femmes s’étaient réunis dans une salle basse, et que le supérieur avait proposé à ces