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dans l’île, et à dégager les musulmans de Kissamos et de Sélino, vivement pressés par ce premier élan de l’insurrection. Si les Grecs échouèrent à plusieurs reprises devant le petit fort de Castel-Kissamo, toujours facile à ravitailler et à défendre par mer, les musulmans de Sélino furent obligés, après s’être pendant plusieurs semaines défendus à Kandano, de se replier, avec femmes, enfans et bagages, sur La Canée. Hors des villes, l’insurrection était maîtresse de tout le pays, surtout dans les provinces occidentales, les plus riches et les plus peuplées, dont le sort devait entraîner celui du reste de l’île. Le général Kalergi, Crétois de naissance, avait refusé une dernière fois, par une lettre du 10 septembre, le commandement supérieur que lui offrait l’épitropie ; mais il annonçait en même temps aux Crétois que le roi de Grèce « plaidait leur cause auprès des grandes puissances et invoquait pour la Crète leur protection. » C’était pourtant le moment où M. de Moustier, quittant Constantinople pour le ministère des affaires étrangères, passait par Athènes et déclarait au roi George et à ses ministres que « le soulèvement des Crétois n’avait pas dans les circonstances actuelles les chances d’appui diplomatique sur lesquelles on semblait compter. » À cette déclaration était joint le conseil de ne pas prolonger par des encouragemens dangereux une inutile effusion de sang. La neutralité, une neutralité sincère et sérieuse, telle était la conduite que la France et l’Angleterre recommandaient de concert au cabinet hellénique ; en dehors de cette conduite, il n’y avait pour la Grèce que périls, pour la Crète que souffrances stériles. Ce qui empêcha les Grecs d’être fort émus de ce solennel avertissement, c’est qu’ils savaient à quelles variations est sujette, en ce labyrinthe de la question d’Orient, la politique française, qui a déjà, depuis la guerre de Crimée, ébauché bien des combinaisons, tenté bien des routes.

Ne recevant point de la France et de l’Angleterre les réponses qu’il désirait, l’infatigable Bouboulaki, un Grec de Mégalo-Castron qui avait pris les fonctions et le titre de secrétaire du gouvernement provisoire, se tourna d’un autre côté ; il adressa au président des États-Unis d’Amérique une longue pétition. A lui seul, en deux ans, Bouboulaki a plus écrit de proclamations, pétitions, circulaires et bulletins que trois ou quatre ministres, et son œuvre diplomatique formerait un gros volume ; mais, parmi toutes ces pièces qu’il a rédigées, il en est peu d’aussi curieuses que celle où il implore la médiation américaine en faveur de « l’île de Crète, berceau de Jupiter et de Minos. » Ces souvenirs mythologiques, j’imagine, auront dû peu toucher le président Johnson.

Ces mois de septembre et d’octobre 1866 furent comme la