Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la France, n’était point fait pour modifier les dispositions de la Porte. Une lettre adressée aux consuls le même jour était encore plus explicite.

Si la Porte se croyait en mesure de dompter aisément l’insurrection que ses fautes avaient provoquée et que ses lenteurs avaient laissée grandir, elle devait se hâter d’agir. Elle avait dans l’île des forces que le 29 juillet M. Derché évaluait à 22,000 hommes. Le vice-roi d’Égypte avait-il des vues sur la Crète, que Méhémet-Ali avait obtenue jadis comme salaire de son concours dévoué dans la guerre de l’indépendance ? N’est-ce pas plutôt qu’il tenait à s’assurer une reconnaissance qui lui serait nécessaire pour le succès de la négociation relative au changement de l’ordre de succession en Égypte ? Nous ne savons ; ce qui est certain, c’est qu’il avait déployé, pour aider son suzerain, un zèle tout à fait inaccoutumé, et que plus de 10,000 soldats égyptiens avaient déjà débarqué dans l’île. Le gouverneur-général, effrayé de la responsabilité qu’il avait prise, ne savait que persévérer dans son inaction. Pendant que l’on commençait à s’agiter en Grèce, pendant qu’il s’y formait des comités qui se mettaient à expédier aux Crétois des munitions de guerre et de l’argent, le pacha ne faisait point un pas en avant. Cependant les Crétois musulmans, achevant d’abandonner leurs villages, affluaient vers les villes, où l’encombrement devenait de plus en plus insupportable. On en était à ce point où ceux même dont la guerre contrarie le plus les intérêts et qui ont tout fait pour l’empêcher l’acceptent et la désirent par lassitude et par impatience.

Pendant qu’en Crète se poursuivaient entre le général égyptien Chaïn-Pacha et l’épitropie des négociations qui ne pouvaient aboutir, pendant que des actes de violence isolés commis par l’un ou l’autre parti rendaient de jour en jour plus inévitable un sanglant dénoûment, les ambassadeurs insistaient à Constantinople pour que la Porte prît enfin une mesure qu’elle aurait dû adopter depuis longtemps, pour qu’elle envoyât sur les lieux un commissaire-général revêtu de pleins pouvoirs. C’était ainsi que l’on avait mis fin sans effusion de sang et sans grandes dépenses au mouvement de 1858. Le choix du cabinet ottoman s’était porté sur le vieux Moustafa-Kiritli ; celui-ci avait d’abord hésité à accepter la mission proposée : il avait quatre-vingts ans passés, il ne se souciait pas de compromettre sa réputation en se chargeant de réparer, quand peut-être elles étaient irréparables, les fautes d’autrui. Enfin, sur les instances des ministres de la Porte, il consentit à se charger de cette tâche délicate, comme on le sut le 27 août à La Canée ; mais Moustafa-Pacha ne suivait pas d’assez près l’annonce de sa nomination, et ces derniers jours, pendant lesquels l’ancienne