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agissant vigoureusement, cruellement même, comme l’avait fait en semblable occurrence à Murniès Méhémet-Ali en 1834, ni accorder à temps de sages concessions. Ismaïl-Pacha n’avait d’ailleurs sous ses ordres que quelques zaptiés ou gendarmes irréguliers ; à la fin de mai seulement, quelques bataillons partirent de Constantinople. Au même moment, les paysans réunis à Périvolia, qu’avaient rejoints les primats des districts de Rétimo et de Candie, avaient achevé de rédiger la pétition ; le 26 mai 1866, on l’adressait à Ismaïl-Pacha en le priant de la transmettre au sultan. Dès les premiers jours de juin, cette supplique, comme on l’appelait encore, était parvenue au cabinet ottoman ; mais les semaines se passaient, aucune réponse n’arrivait. On voyait seulement de temps en temps débarquer quelques bataillons de rédifs ou troupes de la réserve, qui avaient été formés précipitamment en Anatolie ou en Roumélie ; sept bâtimens de guerre étaient à l’ancre dans le port de la Sude. Ces démonstrations militaires non suivies d’effet ne pouvaient qu’irriter les esprits, trop échauffés déjà pour céder à de simples menaces. M. Derché évaluait à 10,000 hommes environ le chiffre des troupes ottomanes qui formaient la garnison de l’île vers le milieu de juin ; mais déjà les chefs des paysans disaient qu’un mot de leur bouche suffirait pour mettre sur pied des troupes supérieures à celles de la Porte. Ismaïl-Pacha comprenait aisément qu’au cas où le sultan aurait la sagesse de donner satisfaction aux Crétois, la première concession demandée et accordée serait son rappel ; il lui faudrait donc, comme Véli en 1858, partir humilié et vaincu. Il était naturel qu’il n’eût point grande envie de voir les affaires prendre une tournure pacifique. Aigri par le sentiment de son impuissance et de sa chute prochaine, il adressait au peuple des proclamations blessantes, et il assistait, sans rien faire pour les empêcher, aux préparatifs du combat. Les musulmans crétois, qui détestaient Ismaïl-Pacha et qui souffraient des vieux abus et des nouveaux impôts autant que les Grecs, s’étaient d’abord associés en assez grand nombre aux réclamations de ceux-ci ; mais, à mesure qu’augmentait la confiance des chrétiens rassemblés, les musulmans se souvenaient des violences et des cruautés qu’ils avaient impunément commises en Crète pendant un siècle et demi, et leur conscience leur disait qu’il y avait là un arriéré de compte à solder. Dès le mois de mai, beaucoup de musulmans des villages avaient amené en ville ou installé hors des portes, sous des tentes et des huttes de branchage, leurs femmes, leurs enfans, leurs servantes ; ils allaient seulement de temps en temps, par bandes armées, visiter leurs propriétés et y exécuter les travaux les plus urgens. Il était impossible qu’ils y retrouvassent toujours toutes choses dans l’état où ils les avaient laissées. Sans doute les chefs grecs