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pris les uns à une langue sémitique et les autres à une langue aryenne, durent entrer dans les cadres d’un idiome tartare. Même avec tous ces secours, les Turcs éprouvent encore une singulière difficulté à rendre nos locutions abstraites, et ils sont obligés à chaque instant de se contenter d’équivalens imparfaits, de périphrases inexactes. Ajoutez à cela les difficultés que présentent à tout Européen l’étude et l’usage de l’alphabet arabe, qui ne note pas ordinairement par un signe spécial le son des voyelles. Et ceux à qui l’on veut imposer l’effort d’apprendre cet étrange et complexe idiome qui suppose la connaissance de deux autres langues, ce sont des gens habitués à se servir d’un alphabet bien plus parfait et plus commode. c’est un peuple qui a en main le plus souple et le plus ingénieux instrument qui soit au monde, le grec, qui se prête comme de lui-même à l’expression de toutes les idées nouvelles et qui trouve dans son propre fonds de quoi s’enrichir et se rajeunir indéfiniment !

Arrivons à un dernier grief. L’autorité turque avait, à ce qu’il semble, fermé un certain nombre d’écoles grecques dans les villages, sous prétexte que les instituteurs, élèves de l’université d’Athènes, faisaient une propagande hostile aux Ottomans. On n’avait pour ce motif permis d’ouvrir d’écoles que dans les villes, où les maîtres se trouvaient sous les yeux mêmes des gouverneurs. Nous sommes convaincu que ces alarmes des pachas étaient loin d’être dépourvues de fondement ; nous avons rencontré en Anatolie et en Roumélie plus d’un de ces maîtres d’école ennemis acharnés des Turcs et toujours occupés à décrire sous les couleurs les plus brillantes les merveilles d’Athènes. C’est, je le veux, un ennui pour la Turquie ; mais en Italie ce qui a décidé la Toscane, les Romagnes et les provinces napolitaines à se jeter dans les bras du Piémont, ne sont-ce pas bien plutôt les vices de leurs gouvernemens que les prédications de quelques journaux et de quelques émigrés ? Ce qui fait la force et le succès de la propagande hellénique là où elle réussit, ce sont les violences des beys et les actes oppressifs des pachas. Ne valait-il pas mieux tolérer quelques beaux parleurs que de fournir si complaisamment un pareil thème à leur éloquence, et de leur faire dire avec quelque apparence de raison que le gouvernement turc ne peut se maintenir en pays chrétien qu’en empêchant le peuple de s’éclairer, en repoussant l’instituteur et en fermant la porte de l’école ?

C’étaient là les principales causes du mécontentement qui depuis plusieurs mois agitait sourdement les esprits quand, au printemps de 1866, on apprit que les chrétiens des provinces occidentales de l’île se réunissaient pour rédiger et signer une pétition qui serait adressée au sultan. De la plaine d’Omalo, où il s’était formé