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horriblement sur mer en vrai Turc qu’il était ; aussi les mauvaises langues ne se faisaient-elles point faute de prétendre que, s’il tenait tant à sa route, c’est qu’elle lui permettrait de parcourir sa province sans quitter la terre ferme, pour laquelle il avait le même amour que Panurge. Les Crétois pensaient avec raison que le plus pressé, c’était d’établir des communications régulières entre l’intérieur du pays et le littoral, entre les deux versans opposés de cette chaîne qui sous divers noms court d’un bout à l’autre de l’île. Avant de construire sur les flancs raides et pierreux de toutes ces montagnes des routes carrossables parallèles à la mer, il fallait plutôt songer à donner aux habitans plus de facilité pour employer le seul moyen de transport qu’ils eussent à leur disposition, pour faire passer partout leurs ânes, leurs mulets, leurs chevaux chargés de blé, d’huile, de vin ou de caroubes. L’urgent, c’était donc de réparer les âpres et tortueux sentiers par lesquels depuis l’antiquité bêtes et gens gravissaient péniblement les pentes escarpées des Monts-Blancs, de l’Ida et du Dicté ; c’était de construire des ponts sur les rivières ; c’était ici de soutenir sur des remblais, là de défendre contre les eaux le sentier coupé chaque hiver, de mener une chaussée pavée à travers un marécage, de dessécher, en creusant quelques canaux, les terres basses, qui restaient inondées pendant des mois entiers. Il y avait à entreprendre toute une série d’utiles et modestes travaux qui auraient donné un résultat immédiat ; chrétiens et musulmans s’y seraient, selon toute apparence, prêtés avec empressement, heureux d’être encouragés, secondés et dirigés. Ce n’était point l’affaire de l’ancien ambassadeur en France, qui avait appris pendant son séjour parmi nous la puissance de l’affiche et de la réclame. Quel retentissement auraient eu dans les journaux de Paris, de Bruxelles et de Londres quelques coups de pioche obscurément donnés au flanc des montagnes ?

De la résistance que firent les Crétois à ce malencontreux essai, on aurait donc tort de conclure qu’ils n’étaient pas sincères quand ils reprochaient au gouvernement turc l’état où il avait laissé la viabilité de l’île. Une autre réclamation aussi juste, c’est celle qui a trait au mauvais entretien des trois ports par lesquels se fait à peu près tout le commerce de l’île. « Cydonia, dit l’auteur d’un ancien périple, a un port et des écueils à l’entrée de ce port. » Les écueils, qu’il serait, assure-t-on, facile de faire disparaître, sont toujours là ; l’entrée du port est si étroite que, jusqu’au moment où quelques bouées ont été placées, il y a une dizaine d’années, pour indiquer le chenal, un bâtiment avait grande chance d’échouer, si, poussé vers la côte par un gros temps, il tentait d’entrer sans un bon pilote. Du moins, une fois qu’on a franchi ces obstacles, trouve-t-on dans une partie de ce bassin assez d’eau pour rester à flot ; mais à