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de celle que l’on trouve en temps ordinaire dans les plus pauvres contrées de l’Occident.

Cependant, malgré tout ce qu’il a souffert là-bas, M. Skinner n’a point gardé rancune à la Crète et aux insurgés crétois, pas plus qu’un de nos compatriotes, M. Gustave Flourens, que nous tenons à nommer parmi ceux qui nous ont le plus utilement éclairé sur bien des points que laissaient obscurs pour nous les assertions contradictoires des documens imprimés. M. Flourens, qui n’a encore donné que de courts fragmens de la relation qu’il a promise, est resté plus longtemps en Crète que M. Skinner, et, parlant le grec, y a été bien plus mêlé aux hommes et aux choses. C’est qu’il y était allé non pas comme le journaliste anglais, en simple curieux, mais en soldat volontaire d’une cause qu’il avait déjà voulu servir par la parole et par la plume. Il parcourut donc, le fusil sur l’épaule, l’île presque tout entière, il servit sous les ordres de plusieurs des chefs de l’insurrection, et en plus d’une rencontre il fit le coup de feu contre les Turcs.

Ce n’était pas tout d’entrer en Crète, il fallait en sortir. Quand M. Skinner eut satisfait sa curiosité, quand M. Flourens eut reconnu que la question ne se déciderait point en Crète, l’un et l’autre songèrent à quitter le pays. Ils auraient certainement obtenu, en leur qualité d’Européens, tous les saufs-conduits qu’ils auraient désirés pour venir s’embarquer à La Canée, sous les yeux de leurs consuls ; mais il leur déplaisait d’user de ce privilège, de se séparer ainsi des compagnons qu’ils s’étaient choisis, de devenir les obligés de ces Turcs, dont ils se préparaient à dire tant de mal. Pour obéir à ce scrupule, M. Skinner, M. Flourens et deux autres de nos compatriotes se risquèrent à gagner la plus voisine des îles grecques, Cérigotto, sur une méchante barque non pontée. Il faut lire dans le livre de M. Skinner ou entendre raconter par M. Flourens les péripéties de cette aventureuse navigation, qui faillit dix fois aboutir à une capture ou à un naufrage. Tous ces dangers, toutes ces misères, n’ont pas réussi à fatiguer les sympathies de nos philhellènes, à les rendre durs ou même sévères pour ceux, dont ils avaient pendant quelque temps partagé les émotions et mangé le pain.

Nous ne dirons qu’un mot à ce propos d’une brochure dont on a fait beaucoup de bruit à Athènes et à Constantinople : il s’agit des lettres que d’anciens soldats de Garibaldi, Italiens et Hongrois, qui avaient été enrôlés par les comités insurrectionnels ont publiées ou laissé publier sous leur nom après leur retour de Crète. Les Turcs ont triomphé en voyant avec quelle amertume ces malheureux parlaient des promesses qui leur avaient été faites et qui n’avaient pas été tenues, des privations qu’ils avaient subies en Crète. Quant aux Hellènes, ils n’ont pas eu assez d’injures et