Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enthousiasme intermittent, qui, on le voit, change souvent d’adresse, nous laissons les affaires orientales aller comme elles veulent, ou plutôt comme veulent les conduire les cabinets qui ont une opinion arrêtée sur la question, et qui, malgré les changemens de personnes, suivent sans dévier une ligne nettement tracée.

Parmi les documens qui aident l’opinion anglaise à s’éclairer sur des problèmes dont elle sent toute l’importance, il faut aussi compter, à côté de ces dépositions demandées comme sous la foi du serment aux hommes qui représentent à l’étranger le gouvernement de la reine, des témoignages d’un autre genre, des relations de voyage qui en Angleterre excitent une curiosité et obtiennent un succès dont nous avons peine à nous faine une idée. C’est un récit de ce genre que l’on doit pour la Crète à M. Skinner, un avocat, comme nous l’apprend le titre de son livre, mais un avocat comme n’en compte guère notre barreau. M. Skinner appartient à cette famille d’intrépides curieux qui aiment à dépenser en périlleuses aventures un trop plein de sève anglo-saxonne. En qualité de correspondant d’un grand journal anglais, il avait parcouru le Mexique pendant le cours de notre expédition ; en 1866, il entrait en Bohême à la suite des Prussiens et assistait à la bataille de Sadowa ; quelques mois après, nous le trouvons en Crète. Encore plein des souvenirs de la grande guerre allemande, où il avait reçu sans doute le meilleur accueil auprès de ces vainqueurs dont toute la presse anglaise célébrait alors les exploits, il paraît avoir eu l’intention de se rendre au quartier-général des insurgés et de solliciter la faveur d’y être attaché pendant quelque temps. Jeté sur un point de la côte crétoise par un de ces bâtimens qui faisaient entre la Crète et la Grèce la contrebande de guerre, il s’est trouvé aussitôt entouré de gens dont pas un ne comprenait sa langue, et qui ne pouvant se faire aucune idée des vrais motifs de sa visite, en avaient inventé l’explication la plus naïve : dans cet aventureux journaliste qui se risquait à traverser la croisière turque, on avait imaginé de reconnaître un commissaire du gouvernement Anglais, d’un colonel hongrois, M. Sottfried, et d’un ancien officier français, M. Desmaze, que le même bateau avait déposés sur le rivage de Rodakino, on avait fait des commissaires russe et français, et déjà le bruit se répandait dans toute la province que ces trois personnages, après s’être rendu compte de l’état des choses, allaient donner le signal de l’intervention européenne. M. Skinner et ses compagnons furent donc reçus aussi bien que possible, et on ne cessa point de leur faire bonne mine alors même qu’eut commencé à se dissiper l’illusion qu’avait fait maître leur arrivée ; mais ceux mêmes qui prenaient le titre de capitaines et de généraux ne pouvaient leur offrir qu’une maigre hospitalité en comparaison