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Murray, c’est peut-être encore ce qu’il y a de plus intéressant dans ce recueil ; ce qui en fait la valeur et je dirai même le charme, c’est que, pour être adressées au premier lord de l’amirauté, elles n’ont pas cette froide réserve, ce style volontairement incolore et tout impersonnel qui est comme la banale livrée des pièces officielles. En commençant son voyage à travers le livre bleu, on s’attend à n’y voir que des diplomates, et on trouve un homme. Officier, M. Murray exécute sa consigne quand elle est précise et formelle ; mais, Anglais habitué à dire tout haut sa pensée, il laisse librement éclater ses sentimens, sa pitié pour les victimes, sa profonde antipathie pour ceux dont son gouvernement souhaite le triomphe, la colère et le mépris que lui inspirent leurs façons d’agir, enfin sa conviction bien arrêtée qu’en dépit de la supériorité numérique des Turcs et de l’appui que leur prête le cabinet anglais ils se verront en dernier lieu contraints d’évacuer la Crète.

Quand on ferme ce recueil si ample et si varié et qu’on ouvre notre livre jaune français, on éprouve à peu près la même sensation que l’homme qui sort d’une ville populeuse pour entrer dans un désert. Encore, dans les documens diplomatiques présentés à nos chambres en février 1867, rencontre-t-on plusieurs curieuses dépêches de notre consul à La Canée, M. Derché, où sont expliquées les causes et racontés les débuts de l’insurrection ; mais, quand nous arrivons au recueil qui a été distribué en novembre 1867, c’est tout autre chose. Nous y trouverons bien les réflexions que les événemens de Crète suggèrent à notre honorable ministre des affaires étrangères, et les conseils qu’il a cru devoir donner, avec plus d’empressement et d’insistance que de succès, aux ministres du roi de Grèce comme à ceux du sultan ; mais nous y cherchons en vain même des extraits de quelques lettres écrites par notre consul à La Canée et par nos agens consulaires de Rétimo et de Mégalo-Castron. Rien cependant ne vaut, pour celui qui veut juger par lui-même, les faits racontés sans parti-pris, au moment même où ils s’accomplissent, par un témoin intelligent et honnête.

Du reste, il faut le dire, en France, l’opinion publique, la presse, les assemblées, négligent les problèmes qui se rattachent à l’avenir de l’Orient ; elles en remettent trop volontiers la solution à la routine des chancelleries et au caprice des diplomates. Nous ne nous sommes jamais inquiétés et occupés de l’Orient que par accès et par boutades ; en 1825, nous nous sommes engoués des Grecs, en 1840, de Méhémet-Ali et de ce que l’on avait si plaisamment appelé l’empire arabe, en 1854, des Turcs, de leur faible et doux sultan, de ce lieutenant slave qui est venu perdre en Crète une réputation trop facilement acquise, et de ces ministres qui se jouaient de nous tout en nous nommant leurs sauveurs. Entre deux crises de cet