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secrètes dispositions, c’était à coup sûr Cambacérès. Un personnage déjà considérable à cette époque et qui était assez avant dans l’intimité de l’archi-chancelier, M. Pasquier, alors conseiller d’état, n’hésita point à lui dire combien dans le monde on s’était peu attendu à cette préférence que seul il avait à peu près ouvertement donnée au mariage avec la princesse Olga. Par politesse, il ajouta que cet avis ayant été le sien, il était plus surpris encore qu’il n’eût pas prévalu. À cette observation, Cambacérès fit une réponse qui frappa beaucoup son clairvoyant interlocuteur, et que de longues années après nous avons plus d’une fois entendu raconter à M. le duc Pasquier. « Cette dernière circonstance n’a rien d’étonnant, reprit l’archi-chancelier. Quand on n’a qu’une bonne raison à donner, et quand il est impossible de la donner, il est naturel qu’on soit battu. » Pressé de faire connaître cette raison si décisive et d’ailleurs parfaitement confiant dans l’assurance que le secret lui serait gardé : « Vous allez voir, poursuivit Cambacérès, que ma raison est si bonne qu’il suffit d’une phrase pour en faire saisir toute la force ; je suis moralement sûr qu’avant deux ans nous aurons la guerre avec celui des deux souverains dont l’empereur n’aura pas épousé ou la fille ou la sœur. Or la guerre avec l’Autriche ne me cause aucune inquiétude, et je tremble d’une guerre avec la Russie ; les conséquences en sont incalculables ! Je sais que l’empereur connaît bien le chemin de Vienne ; je ne suis pas aussi assuré qu’il trouve jamais celui de Saint-Pétersbourg. » S’il est curieux de constater ce coup d’œil si profond et si vrai jeté en quelques paroles claires et précises par un homme d’une perspicacité extraordinaire sur un avenir encore parfaitement fermé à tous les regards, il n’est pas moins singulier de penser que la perspective du mariage autrichien, destiné à devenir si funeste à l’empire, se soit tout à coup ouverte à la suite d’une conversation engagée pendant cinq minutes entre deux personnes que le hasard faisait se rencontrer sur les marches de l’escalier des Tuileries, à l’instant même où ce palais qu’elle avait si longtemps habité allait être abandonné par l’infortunée Joséphine. En réfléchissant au concours de tous les événemens qui ont suivi, peut-être peut-on dire que les destinées de l’empire se sont accomplies en ce quart d’heure fatal, car, si au lieu de Marie-Louise l’empereur eût épousé la grande-duchesse Olga, il est assez à croire, suivant les prévisions de l’archi-chancelier Cambacérès, que la campagne de 1812 n’aurait pas eu lieu, et Dieu sait quelle fut la part de cette expédition malheureuse dans la chute du premier empire.

Quoi qu’il en soit, la résolution de Napoléon une fois arrêtée, les choses ne devaient plus traîner beaucoup en longueur. Afin de