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curieux que le spectacle offert en ce moment par la cour impériale aux yeux d’un observateur attentif, car jamais peut-être familiers d’un prince n’avaient été mis à plus rude épreuve, et c’était plaisir d’assister aux visibles efforts que chacun s’imposait afin de bien régler sa contenance. Il fallait d’abord et avant tout approuver hautement la résolution du maître et songer à tirer parti des changemens qu’allait amener la formation d’une nouvelle maison pour la future impératrice. Cependant Joséphine gardait aussi la sienne ; s’éloigner d’elle quand on lui avait été attaché pendant de longues années, c’était en soi-même un procédé peu honorable, et qui risquerait en outre de déplaire beaucoup à l’empereur, car il voulait que l’impératrice dépossédée demeurât non-seulement fort considérée, mais entourée des mêmes respects et des mêmes hommages que par le passé. Peut-être après tout serait-ce elle qui garderait la plus grande part dans ses affections et qui jouirait encore de la principale influence, et puis de quel côté se tourner à l’avance pour être sûr d’avoir été des premiers à saluer le soleil levant ? A bien peu d’exceptions près, raconte le scrupuleux témoin à qui nous empruntons ces détails, on pouvait lire ce comique embarras sur les visages de tant de gens qui avaient un parti à prendre. Il devint surtout remarquable à la soirée que présida l’impératrice Joséphine avant de quitter les Tuileries. Il y avait grand cercle à la cour. Tous les appartemens impériaux étaient remplis ; suivant l’usage, un souper avait été servi pour les femmes dans la galerie de Diane, sur un grand nombre de petites tables. Joséphine était assise à celle du milieu, et les courtisans circulaient autour, la regardant, l’étudiant, pour ainsi dire, avec une curiosité assez mal dissimulée et se tenant prêts à recevoir cette gracieuse inclination de tête par laquelle elle avait l’habitude de saluer ceux qu’elle connaissait particulièrement. Il était impossible de n’être pas frappé de la convenance de son maintien en présence de tout un monde qui l’entourait encore de ses hommages, mais qui n’ignorait pas que c’était pour la dernière fois, et que dans une heure peut-être elle allait descendre de ce haut rang qu’elle avait si longtemps occupé pour se rendre seule et désolée à la modeste résidence de la Malmaison. Peut-être n’appartient-il qu’aux femmes de se tirer avec une mesure si parfaite et tant de charmante dignité d’une épreuve si difficile. On peut dire qu’elle assistait avec une grâce sans pareille aux funérailles de sa propre grandeur, tandis que Napoléon, visiblement contraint, se montra tout à fait à son désavantage, et sa contenance aux yeux même de ses plus constans admirateurs fut sensiblement moins bonne que celle de sa victime.

Parmi les personnes qui venaient de prendre ainsi congé de l’impératrice dépossédée, il y en avait plus d’une qui avait toute raison