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pièce, d’abord parce qu’elle n’était qu’une protestation sans force, ajoutée à tant d’autres qui avaient été sans conséquences, mais surtout parce que l’intervention du conseil ne pouvait avoir pour but que d’empêcher la bulle d’être publiée et exécutée dans l’empire. Or, disait le nouveau ministre des cultes avec une assurance parfaitement fondée, nulle autorité ne la publiera, et ne cherche, même secrètement, à la répandre, et quant à l’exécution, elle ne peut non plus en avoir aucune, par rapport aux droits temporels de ceux quelle concerne, puisque ces droits sont réservés, et par rapport au spirituel à cause de sa généralité. S’il y avait enfin des têtes exaltées en faveur du pape, c’était par voie de police qu’il faudrait les contenir. L’annulation de la bulle par le conseil d’état, loin de refroidir les esprits, fixerait encore plus l’attention, et la malveillance en profiterait. Il ne s’agissait nullement en effet d’une bulle par laquelle le pape cherchât à engager les sujets de l’empereur à agir contre sa personne ou contre son gouvernement. « Le pape est dépossédé, disait le ministre en terminant ; il se sert de ses armes spirituelles pour déterminer ceux qui le dépossèdent à le remettre en possession, et le conseil d’état n’a pas à connaître des intentions politiques de votre majesté. » Après avoir pris la liberté d’exprimer ainsi son opinion, M. Bigot n’attendait plus que les ordres de l’empereur pour les exécuter[1].

Soit que les raisons de son ministre aient eu le don de le persuader, soit plutôt que le gain récent de la bataille de Wagram l’eût disposé à reprendre sa confiance accoutumée dans son ascendant sur l’Europe et dans la soumission plus que jamais assurée de ses sujets, particulièrement des membres de son clergé, l’empereur se contenta de répondre à M. Bigot de Préameneu que la bulle d’excommunication était une pièce si ridicule qu’elle ne méritait pas qu’on y fît attention[2]. À cette époque, Napoléon ignorait encore l’arrestation du pape à Rome et sa courte apparition à Grenoble. Sitôt qu’il en fut informé, l’idée lui vint que les personnes faisant partie de la suite de sa sainteté pourraient divulguer en France la nouvelle d’une mesure à l’égard de laquelle il affectait, nous l’avons dit, de manifester une si complète insouciance, mais qui ne laissait pas de troubler quelque peu son apparente quiétude. Des ordres furent immédiatement donnés, et nous voyons par les récits du cardinal Pacca et par ceux des serviteurs du saint-père que recommandation expresse leur avait été faite, sous peine des plus terribles châtimens, de ne pas laisser échapper le formidable

  1. Lettre de M. le comte Bigot de Préameneu à l’empereur Napoléon Ier, 3 juillet 1809.
  2. Lettre de l’empereur au comte Bigot de Préameneu. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XIX, p. 216.