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la mesure du saint-père pouvait porter à l’exercice de son pouvoir, M. Bigot examinait s’il était à craindre que la bulle d’excommunication eût, comme censure et peine ecclésiastique ! des effets extérieurs.


« Je ne le pense pas, disait-il ; votre majesté n’est nulle part nommée. Or il est de règle, remarquent les canonistes, que l’église ne veut pas comprendre les souverains dans les peines prononcées pour entreprise des seigneurs temporels. Ainsi elle ne croirait pas s’expliquer assez en disant : quoiqu’ils brillent de l’honneur de quelque grande dignité que ce soit, quoique ce soient des personnes dignes d’être notées spécialement[1]. Or ce sont les expressions de la bulle du 10 juin. Ainsi, dans le système même des canonistes, on doit décider que l’intention du saint-père n’a pas été que votre majesté fût atteinte par sa bulle, puisqu’il savait que ces désignations étaient insuffisantes. Il y a plus, la bulle ne frappe qui que ce soit… Nul n’étant spécialement frappé de l’anathème, il faut dire ou qu’elle n’atteint personne, ou qu’elle s’étend aux administrateurs et agens de tous les degrés, à tous les militaires et généralement à tous les citoyens qui reconnaîtront le nouveau gouvernement, et comprendre ainsi tout le monde dans une même mesure, c’est en réalité la rendre tout à fait illusoire.

« Quelles sont d’ailleurs les peines de l’excommunication prononcées par les canons, et notamment par le concile de Trente, cité dans la bulle ? C’est de n’être pas admis à la communion avec les fidèles, et, si on ne vient pas à résipiscence dans l’année après les mentions légitimes, d’être poursuivi canoniquement comme suspect d’hérésie ; mais comment éloigner de cette communion celui contre lequel il n’y a pas de condamnation ? Il ne peut donc y avoir, sous les rapports ecclésiastiques comme sous les rapports civils, aucun effet extérieur à cette bulle, que le pape ne charge personne d’exécuter. Elle doit être uniquement considérée comme une dernière protestation, ce qui en pareille circonstance est insignifiant. Sans doute, ajoutait l’ancien président de la section de législation, si cette bulle était portée à votre conseil d’état, toutes les voix se réuniraient pour la rejeter avec les plus fortes qualifications, parce que, sur les points les plus importans, elle est absolument contraire aux libertés de l’église gallicane, et encore parce que le pape, sans dire un mot des causes qui lui ont fait retirer le pouvoir temporel, se livre à toutes les injures qu’il a pu imaginer. »


Cependant le comte Bigot de Préameneu ne pensait pas qu’il fallût avoir en cette circonstance recours au conseil d’état. Si sa majesté lui permettait d’énoncer son opinion, il persistait au contraire à croire qu’il valait mieux ne pas produire du tout cette

  1. Mémoires du clergé, t. VI, p. 978.