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de leur effet, car on ne peut juger d’une machine dont on n’a point fait l’essai, tandis que la déconsidération la plus complète est le résultat le plus inévitable d’une tentative avortée. Alors on risque de se tuer soi-même par l’usage de l’arme que l’on destinait à tuer son adversaire. C’est ce qu’a éprouvé le pape… Beaucoup de personnes ne pouvaient consentir à croire à l’existence de la bulle d’excommunication et la regardaient comme une supposition inventée dans une vue hostile au pape, tant ses résultats étaient clairs. En effet, cette démarche partageait les torts entre Pie VII et Napoléon. Elle enlevait au premier ce qui lui avait exclusivement appartenu jusqu’alors, l’intérêt combiné de ses fonctions et de sa faiblesse, de son caractère et de ses malheurs… On commença à croire que Napoléon pouvait avoir moins de torts qu’on ne l’avait supposé jusque-là. On se rapprocha de lui comme de l’objet d’une attaque offensante pour l’esprit humain ;… peu s’en fallut que de persécuteur qu’on l’accusait d’être il ne parut à son tour persécuté, et la cour de Rome avait trouvé là le moyen de gâter une belle cause… »


Nous avons reproduit ce passage de l’auteur des Quatre Concordats parce qu’il représente assez bien, quoique avec un peu d’exagération, l’impression alors ressentie non-seulement par le public en général, mais aussi, il ne faut pas le dissimuler, par une partie notable des membres de ce clergé impérialiste parmi lesquels l’archevêque nommé de Malines allait jouer un rôle désormais très actif et parfois assez prépondérant. Où l’abbé de Pradt se trompe complètement, c’est quand il suppose que, d’accord avec les ennemis de l’empereur, et fondant quelques espérances sur les embarras militaires qui suivirent la bataille d’Essling, Pie VII avait intentionnellement lancé la bulle d’excommunication au moment où la fortune de Napoléon lui avait paru chanceler en Allemagne. Nos lecteurs savent qu’il n’en est rien, et que le pape ne choisit pas son jour. Ce fut à l’heure même de la prise de possession de ses états, pendant que retentissait à ses oreilles le bruit des salves d’artillerie qui saluaient le drapeau français arboré au château Saint-Ange, que Pie VII, violemment indigné de cet acte de spoliation et cédant aux vives instances de son secrétaire d’état, le cardinal Pacca, avait ordonné la publication immédiate de la bulle d’excommunication, qui avait été pendant la nuit affichée sur les murailles des principales églises de Rome. Peut-être se souvient-on aussi que, relisant une dernière fois l’œuvre depuis longtemps élaborée par le cardinal di Pietro, le saint-père avait un instant témoigné quelque inquiétude sur la teneur de la bulle et trouvé bien fortes les expressions qu’on y employait contre le gouvernement français. Cependant, les circonstances pressant, il avait signé, non sans trouble, cette pièce, dont le moindre tort était d’être fort longue