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pendant si longtemps servi jadis de résidence aux souverains pontifes et leur appartenait encore avant la révolution de 89. Pour plus de sûreté, il avait fait amener les chevaux de poste en dehors des remparts d’Avignon, qui sont encore au nombre des plus curieuses constructions dont cette cité est redevable à la magnificence des papes ; mais, l’éveil donné, l’intérieur de la ville était tout à coup resté désert. En un clin d’œil, tous les habitans, sans distinction de rang, d’âge et de sexe, s’étaient précipités au-devant de Pie VII. Ce n’était plus, comme aux relais de village, de simples bandes de paysans ; c’étaient les personnages les plus considérables de la noblesse et de la bourgeoisie, tout le petit commerce, tout le monde des artisans, qui se confondaient ensemble dans un même mouvement de patriotisme local pour faire honneur au successeur de leurs anciens souverains. Les femmes se faisaient principalement remarquer dans la foule, moins encore par leur nombre que par la vivacité de leurs démonstrations, qui bientôt ne connurent plus de bornes quand apparut le cortège de sa sainteté. Pendant vingt minutes, un assaut incessant, un tumulte indicible, écartèrent les gendarmes ; ils durent céder devant la fougue méridionale des mères qui se faisaient un bouclier de leurs enfans qu’elles présentaient à bénir à Pie VII, des jeunes filles qui se glissaient sous le ventre des chevaux, qui montaient sur les roues de la voiture pour y jeter des fleurs et faire toucher leurs chapelets au saint-père. Séparé de l’escorte qui le gardait et salué des acclamations enthousiastes, de son entourage féminin, Pie VII avait pu se croire un instant rendu à l’ardente affection de ses sujets, qui naguère, dans ses promenades autour de Rome, lui avaient maintes fois improvisé de pareilles ovations. Si le cœur du saint-père en fut pour un moment consolé, l’inquiétude du commandant Boissard s’en était démesurément accrue. Désormais il prit soin d’éviter autant que possible les grandes villes et de conduire son prisonnier par les routes de traverse les moins fréquentées. On avait ainsi évité Marseille et Toulon ; mais, pour se rendre à Savone, il fallait bien suivre l’unique chemin qui longe les bords de la Méditerranée. Quand le saint-père était arrivé au pont du Var, il avait trouvé tous les habitans de la ville de Nice, tous les paysans et les marins du littoral groupés de l’autre côté du fleuve sur la rive italienne. Parmi cette population récemment enlevée à la domination de la maison de Savoie, ce n’était plus le même pêle-mêle de conditions et d’états qui avait partout régné sur le sol de la France. Un certain ordre avait présidé à l’arrangement de la réception qui attendait le souverain pontife. Les ecclésiastiques, revêtus de leurs habits sacerdotaux, s’étaient formés en un groupe séparé. Le corps de la noblesse avait arboré ses antiques devises. Les négocians étaient rangés sous les diverses