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parcours des lieux qu’avait traversés ce cortège singulier d’un pape emmené prisonnier par des gendarmes. Cette émotion, déjà considérable en Italie, avait redoublé quand l’illustre captif avait mis le pied sur le territoire de l’empire français. Les Alpes une fois franchies, le commandant de l’escorte, le capitaine Boissard, avait reconnu l’impossibilité de contenir, la foule toujours croissante des gens de la campagne qui se pressaient à chaque village pour saluer Pie VII et recevoir à genoux sa bénédiction. Les mêmes scènes s’étaient continuées à Grenoble. Durant les dix jours que le pape avait passés dans ses murs, du 21 juillet au 1er août 1809, le chef-lieu de l’Isère avait été envahi par des bandes de paysans et de paysannes, accourues non-seulement des communes environnantes, mais de plusieurs des départemens voisins. L’empressement n’avait pas été moins sympathique de la part de toutes les classes de la population urbaine ; le maire de la cité dauphinoise avait été le premier à donner l’exemple d’une respectueuse déférence envers le chef de la catholicité. Cette attitude manifestement bienveillante de tous ses administrés avait même forcé la main au conseiller de préfecture chargé en l’absence du préfet de faire face aux difficultés d’une situation pour laquelle il n’avait à l’avance reçu aucune espèce d’instructions. Ce fonctionnaire, assez médiocre d’esprit, plus grossier d’ailleurs que malintentionné, avait été visiblement embarrassé de ses fonctions, et plus d’une fois les murmures de la multitude l’avertirent du mauvais effet que produisait sur elle la familiarité peu séante de ses manières à l’égard d’un hôte aussi vénérable. Quand l’ordre était arrivé de Paris de faire repartir le saint-père pour une résidence qui devait rester encore inconnue, le commandant de la gendarmerie et le conseiller de préfecture, prévoyant le vif désappointement des habitans de Grenoble et résolus de couper court à des manifestations incommodes, avaient dû se concerter pour mettre le pape en voiture pendant la nuit et le diriger sur Valence avant que personne ne pût dans la ville se douter de leur dessein[1].

Ces précautions n’avaient pas été suffisantes. A Valence et sur tous les chemins, le pape avait été aussitôt reconnu, et l’affluence des populations rurales n’avait pas diminué. Partout, malgré le secret gardé sur l’itinéraire qu’il devait suivre, le bruit de l’arrivée du saint-père avait devancé sa présence. Aux approches d’Avignon, le concours était devenu si prodigieux et les manifestations avaient pris un tel caractère, que le commandant Boissard avait non sans raison jugé prudent de ne point s’arrêter dans une ville qui avait

  1. Relation manuscrite en italien du premier valet de chambre de Pie VII. — British Museum, n° 8,389.