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pouvoir absolu, aboutissant d’abord à la suppression de toutes nos libertés, ensuite à une catastrophe qui serait le châtiment des classes moyennes.

Nous ne demandons pas même à la bourgeoisie de faire une profession de foi démocratique ardente et de jurer à la cause populaire un dévouement désintéressé qu’elle ne ressentirait point. Non, il n’est point nécessaire qu’à tant de faiblesses déplorables elle ajoute l’hypocrisie. Il suffit qu’en acceptant la démocratie elle en exerce les droits pour son propre compte, il suffit qu’elle sorte de l’inaction fataliste où elle s’est complu depuis vingt ans, qu’elle s’exerce aux luttes politiques qui lui furent autrefois familières, qu’elle recouvre en un mot son ancienne virilité. Si elle persiste à voir dans la démocratie moderne une ennemie irréconciliable et éternelle, que du moins elle apprenne à se défendre et à la combattre. Malgré l’apparente sécurité dont elle jouit à cette heure, la bourgeoisie ne trouvera pas toujours auprès d’elle un protecteur qui lui réponde de son salut. S’il est des pouvoirs assez imprudens pour faire aux nations de pareilles promesses, il n’en est pas d’assez forts pour contracter ces engagemens téméraires avec la pleine assurance de les remplir. Que la bourgeoisie ne l’oublie point, le jour n’est pas loin peut-être où il lui faudra défendre à son tour ceux qu’elle avait choisis pour la protéger. Les abandonnât-elle, après une si longue obéissance, aux conséquences irréparables des fautes dont elle est elle-même la complice, il faut toujours qu’elle apprenne à se soutenir de ses propres mains. Autrement elle n’aurait même pas le droit de se plaindre de sa ruine ; elle serait submergée sans résistance par k première marée révolutionnaire, et l’histoire ne se souviendrait d’elle que pour proclamer que c’était justice.

Il y a environ quinze siècles, le monde romain se débattait contre les barbares qui pressaient de tous côtés ses frontières. Les digues tenaient ferme contre le flot qui venait les assaillir, et l’empire se flattait, de pouvoir résister toujours. Les barbares étaient d’ailleurs ses alliés ou ses tributaires, et il comptait pour les retenir sur la terreur du nom romain ; mais ce n’était plus l’ancienne Rome, celle qui avait asservi et dominé le monde. A la vieille et forte race des sept collines étaient venues se joindre vingt nations englobées dans l’empire et admises successivement aux bénéfices du droit de cité. Au sein même de la ville impériale, le sang quiritaire s’était mêlé à celui des affranchis et des fils d’esclaves, descendans dégénérés des nations soumises, où il s’était délayé plutôt que rajeuni. Le peuple romain était puissant encore, mais il n’avait plus cette vertu virile qui est aussi nécessaire pour se conserver que pour s’accroître. Enrichi des dépouilles du monde et absorbé dans les jouissances