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« Chaumont par Écure, dépt de Loir-et-Cher, ce 7 mai (1810).

« Il me serait cruel, cher Camille, de partir sans vous dire adieu. J’ai senti à Lyon plus que jamais combien vous m’étiez cher ; mais toutes mes affections ne sont pour moi que des peines, et je les sens au fond de mon cœur comme un mal. — Mon fils n’a pu voir l’empereur avant son départ. — Il circule autour de lui qu’on pourrait bien m’accorder dix lieues[1] ; mais je n’en sais rien encore, et je ne sais pas si je le désire. En attendant, je travaille à mon livre, qui ne sera pas fini de deux mois. Il y a des négociations de paix, dit-on, mais on n’y croit pas. — J’ai écrit à M. de Lally pour savoir de lui s’il voulait donner la traduction de Cicéron à votre libraire. — Avez-vous adopté mon idée ? Faites-vous quelque chose de votre discours[2] ? Il y avait tant de pensées et d’éloquence que ce serait vraiment dommage qu’une telle chose ne fût connue que de votre académie. Je ne sais pourquoi vous négligez la gloire. Je ne sais pourquoi vous ne considérez pas comme un devoir de faire usage de vos talens dans le noble sens que votre âme vous inspire. Je crois que c’est une grande erreur de borner les devoirs au cercle des vertus domestiques. Chaque faculté est un devoir de plus, et les vôtres sont en rapport avec le monde. Cette émotion qu’on éprouve quand on exprime ce qu’on a dans l’âme est une impulsion à laquelle il faut céder et qui nous vient d’une céleste source. — Je resterai encore trois mois. Du moins tel est mon projet actuel ; mais après ce terme je partirai : tout me le persuade ; ne vous verrai-je donc pas ? Matthieu est ici, et nous nous sommes déjà beaucoup parlé de vous. Il m’a paru bien de santé et, grâce au ciel, dans une assez agréable disposition. Son âme, ses sentimens, toujours les mêmes, se soutiennent et donnent de l’intérêt à sa vie. — Juliette va venir. Vous trouveriez ici trois cœurs bien à vous. Cela ne vaut-il pas quelques jours et quelques lieues ?

« Je me crois ici jusqu’au 15 juillet. »


Sur cette même lettre et sur le dernier feuillet, je lis quelques. lignes non signées qui paraissent bien être de M. de Montmorency ; on remarquera le tutoiement, qui témoigne de la dernière intimité avec Camille :


« J’arrive ici, cher ami, à temps pour mettre mon mot d’amitié à la fin de cette lettre. J’ai trouvé notre amie contente de son passage à Lyon, et de ce qu’elle y avait entendu. Tâche de me procurer bientôt la même jouissance, qui me sera très précieuse… etc. »

  1. C’est-à-dire qu’il lui serait permis d’approcher de la circonférence de Paris jusqu’au rayon de dix lieues.
  2. Le discours qui avait pour sujet l’Influence de la Révolution sur l’éloquence française. Il va encore en être fort question plus loin.