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conservateurs effrayés qui ont fait l’empire, c’est l’empire qui, en patronnant et en prônant le suffrage universel, en s’en faisant, si j’ose ainsi dire, un instrument de pouvoir, a contribué plus que tout autre régime, plus que la république de 1848 elle-même, à l’enraciner sur notre sol ; c’est l’empire qui, à la grande confusion de ceux qui s’étaient jetés dans ses bras pour échapper à la démocratie, a consacré lui-même le principe fondamental de la démocratie moderne, et rendu inévitable l’application de toutes ses conséquences dans un avenir prochain. L’empire en effet n’a pas voulu étouffer violemment la démocratie ; il a voulu seulement retarder sa croissance et s’emparer de sa direction. Il n’a guère employé pour la contenir que des expédiens et des conseils ; or les expédiens ne réussissent pas toujours, et les conseils ne sont pas longtemps écoutés. Un jour vient où l’enfant le plus docile et le mieux séquestré du monde apprend à penser tout seul et à réclamer sa liberté. La tutelle étroite et minutieuse à laquelle on a soumis le suffrage universel ne l’empêchera pas de s’émanciper et de parler en maître.

Il y a des gens qui, à cette attitude indécise et relativement libérale du second empire, préfèrent la rude franchise et (qu’on nous passe le mot) l’héroïque brutalité du premier. Nous n’avons pas besoin de dire que nous ne sommes pas de ce nombre. Nous savons gré au second empire d’avoir fait de la démocratie sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Nous sommes même tout prêts à croire, pour peu qu’il le désire lui-même, qu’il l’a fait en pleine connaissance de cause et dans une intention patriotique. Nous consentons, si cela peut lui plaire, à saluer en lui l’initiateur de la démocratie française, et à lui promettre notre reconnaissance pour le jour où il aura terminé son œuvre. Cela nous donne lieu d’espérer qu’il ne tardera pas à nous rendre les libertés sans lesquelles la démocratie ne serait qu’un vain mot.


IV

Il nous est impossible de plaindre cette classe de conservateurs timorés dont l’empire a trompé les espérances. Si les événemens tournent contre eux, ils seront justement châtiés d’avoir sacrifié à leur repos égoïste la liberté de leur pays. Quand même la démocratie justifierait toutes les terreurs qu’elle leur inspire, quand même elle devrait les opprimer et les fouler sous ses pieds, la justice de l’histoire serait pour eux sans pitié. Un peuple se condamne lui-même lorsqu’il cherche son salut dans de tels remèdes. La morale publique n’aurait qu’à s’applaudir de l’impression salutaire que ce châtiment pourrait produire sur les nations qui seraient