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principe représentatif n’a pas été exilé de la société française, voilà comment la démocratie a pu subsister et grandir encore au milieu même de la réaction qui menaçait de l’étouffer.

La pratique du système représentatif semblait un peu fictive au début du règne, l’unanimité était acquise d’avance à tout ce que le gouvernement avait décidé ; mais les fictions, quand elles durent longtemps. finissent toujours par devenir vraies. Quoique réduite excessivement par les institutions du nouveau régime, l’influence des assemblées représentatives a suivi la loi de toutes les libertés politiques, vires acquirit eundo. La part que le gouvernement prenait dans les élections pouvait être exagérée ; mais il suffisait que les élections restassent nominalement populaires pour qu’elles tendissent sérieusement à le devenir, et pour que l’exercice de cette fonction souveraine prît à chaque fois une importance plus grande ; il suffisait que le principe fût conservé pour que déjà la réalité fût en partie reconquise. Lors même qu’il a consenti à se laisser museler et mener en laisse, le suffrage universel ne s’en est pas moins accoutumé à considérer son autorité comme un droit, il a même montré çà et là de quel esprit d’entente et de quelle énergie virile il serait capable le jour où son éducation politique serait faite, et où il aurait dans les mains l’instrument de la liberté. Il peut exercer mollement les droits qu’on lui a donnés, mais il ne souffrirait plus aujourd’hui que personne vînt ouvertement lui en contester la possession. Le suffrage universel a quelque ressemblance avec ces potentats asiatiques qui se laissent griser d’encens et de flatteries, et qui abandonnent volontiers la réalité du pouvoir à un favori devenu leur maître. Les gouvernemens qui voudraient l’endormir n’y parviendraient qu’à force de complimens ; ils devraient lui répéter tous les jours qu’il est l’unique souverain des sociétés modernes, que tous les pouvoirs découlent de lui seul, et que tous doivent se retremper à leur source. Comment veut-on qu’il ne finisse pas par le croire et par se prendre lui-même au sérieux ? Si indifférent et si désintéressé qu’on le suppose, il doit s’attacher aux hommages extérieurs qui lui sont rendus. Il consentira peut-être à ce qu’on gouverne à sa place, mais à la condition que ce soit en son nom. Ce roi fainéant se révolterait, si, joignant les mots aux choses, on voulait le dépouiller des insignes de sa royauté.

L’établissement du suffrage universel nous paraît donc une chose définitive et irrévocable ; bien imprudent et bien téméraire qui tenterait aujourd’hui de le détruire ! Celui-là courrait de gaîté de cœur au-devant d’une ruine certaine, et il ne ferait que rendre service au suffrage universel lui-même en lui fournissant une occasion de montrer sa puissance. Bien plus, et c’est là ce qui doit paraître, sinon précisément étrange, au moins instructif et inattendu aux